Bernard ALAVOINE (dir.), Simenon à l’écran, Traces n° 23, 2020, 200 p., 15 €, ISBN : 978-287562234
Simenon et le cinéma, c’est une histoire d’amitiés (avec des réalisateurs et des acteurs de renom), d’argent aussi, certes – puisque le romancier comprit très tôt le bénéfice que lui rapportaient les adaptations de ses romans, quitte à en céder les droits en des temps où il eût été moins compromettant de s’abstenir. Une histoire d’amour surtout, qui commence par un coup de foudre entre Septième Art et Littérature, et se poursuit en idylle entre texte et image, jusqu’à ce que surgissent les inévitables questionnements sur leur fidélité respective… Heureusement, les nombreuses divergences n’amenèrent jamais à la rupture définitive.
Le dossier Simenon à l’écran rassemblé dans le dernier numéro de la revue Traces, sous la houlette de Bernard Alavoine, ne prétend aucunement résoudre la querelle entre la lettre et l’esprit qui divise les réalisateurs s’étant emparés de l’univers simenonien. Il se veut davantage un « état des lieux à la fois partiel et subjectif » et, autant le dire d’emblée, ce parti pris kaléidoscopique est de loin le meilleur choix qui pouvait s’opérer à propos de ce sujet à dimension… continentale ! Une richesse à laquelle s’ajoute le plaisir solarisé de voir se mêler, aux contributeurs picard, limousins, parisiens ou lausannois, des universitaires d’Athènes ou de Thessalonique. Le volume est en effet issu d’un colloque organisé en 2018 à l’Institut français de Grèce.
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Porter Simenon à l’écran implique des enjeux insoupçonnés, car sous l’apparente simplicité de la matière de départ (des romans assez minces à l’exception de Pedigree, peu de personnel romanesque, un cadre urbain qui se passe de tout décorum) se dissimulent les véritables difficultés posées par la densité simenonienne : comment rendre l’intimité douloureuse de tel personnage, l’impact d’une atmosphère ou d’un cadre sur tel caractère (au sens anglo-saxon) ? Le problème se pose en particulier pour la veine des « romans durs », où les ressorts de l’intrigue demeurent secondaires par rapport au passage au crible des destinées minuscules mises en scène. Christine Calvet illustre ce cas en confrontant les deux adaptations, distantes de plus d’un demi-siècle, des Fiançailles de Monsieur Hire, un roman « sonore, visuel, olfactif […] où la part des ressentis, physiques et émotionnels est prépondérante » (Alavoine). Les appropriations de Duvivier comme de Leconte seront deux réussites, qui éviteront chacune l’écueil de la trahison.
Toujours est-il qu’adapter Simenon signifie souvent le récrire… Alain Boillat nous fait pénétrer par l’exemple au cœur de cette périlleuse démarche en envisageant la genèse scénaristique dans les trois versions d’En cas de malheur, tandis que Marie-Thérèse Olivier-Saidi interroge le défi stimulant que constitue chaque adaptation pour le trio producteur-scénariste-public. Le roman Betty est convoqué par deux fois, la première pour y débusquer les germes du Nouveau Roman (dans l’aussi subtile qu’inattendue contribution de Lisa Mamakouka), la seconde pour y examiner la transsubstantiation de Simenon en Chabrol (François-Jean Authier).
D’autres communications se signalent par l’originalité de l’angle adopté : Ioanna Papaspyridou interroge les personnages exclusivement féminins à travers les titres essentiels que sont Le train, Le chat ou encore La chambre bleue. Dimitri Roboly, en repositionnant la focale sur l’acteur, figure si souvent négligée dans les études universitaires, ose un étourdissant jeu de miroirs entre les deux Belmondo qui incarnèrent L’aîné des Ferchaux, sous l’œil de Melville puis de Stora.
Un volume riche, qui approche en finesse, sans jamais les théoriser à vide, les problèmes inhérents au projet de « dire et filmer l’indicible » simenonien. Mais une grande œuvre ne se définit-elle pas justement par le sa vocation à entrer en dialogue et en connivence avec les autres arts majeurs ?
Frédéric Saenen