Lettres ou ne pas être

Amélie NOTHOMB, Les aérostats, Albin Michel, 2020, 180 p., 17,90 € / ePub : 12.99 €, ISBN : 978-2-226-45408-9.

L’image est formidable : livres et littérature sont des zeppelins.

— Ils prennent feu facilement, non ?
— Oui.
C’est un autre problème de l’aérostat, qui en a décidément beaucoup : fragile, cher, encombrant. Mais c’est si beau, ces baleines volantes, silencieuses et gracieuses. Pour une fois que l’homme invente quelque chose de poétique !

Les aérostats, roman très dialogué entre personnages bien identifiés, est un éloge absolu et amoureux de la lecture. Absolu quant à son énorme pouvoir sur l’esprit, la santé et la vie du lecteur. Amoureux quant à la lettre, son intelligence et son énorme héritage. Portés aux nues par les mots excessifs à dessein quoique toujours délicats qui fondent la plume d’Amélie Nothomb, les dirigeables font aussi une très belle allégorie de l’enseignement en soi. Le message est tel et très clair : priver de livres les adolescents est passible de crime.

Nous vivions une époque ridicule où imposer à un jeune de lire un roman en entier était vu comme contraire aux droits de l’homme.

Ange est étudiante en philologie et, à nouveau, l’auteure nous emmène dans son univers propre et renommé ; proche de l’autofiction. Elle a dix-neuf ans, est solitaire et découvre qu’elle peut, elle aussi, être aimée et aimer. Son élève a seize ans, son professeur de mythologies comparées, cinquante. Elle est courtisée des deux ; passionne le premier quand le second la passionne. Le jeu des générations, de la transmission des connaissances se matérialisant par l’amour est ici exposé avec un naturel qui transcende facilement le quotidien et la ville, Bruxelles, aimable et aimée, elle aussi.

— Bruxelles est une jolie ville, dis-je. Curieusement, elle a besoin d’un très beau temps pour que ça se voie.
— Pourquoi dites-vous ça ?
— Parce que presque toutes ses maisons sont à double expositions. Quand il fait soleil, la lumière passe au travers des habitations. Alors, Bruxelles est comme bâtie de rayons.

Les personnages secondaires sont hors littérature comme l’on peut être hors de propos, hors champ ou hors course. Ne pas lire condamne à la perversion ou à la plus complète idiotie. L’être vaque dès lors au néant et à l’abandon ; à vivre mort d’avance. Or cette thèse de la bêtise et de la méchanceté sinon lire, c’est ce que vérifie l’auteure par la narration d’une histoire étonnante prenant corps au cœur de la réalité la plus actuelle et présente, voire banale.


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Amélie Nothomb ne discourt pas, ne sermonne pas, mais constate simplement que lire et ne pas lire, cela peut être très dangereux pour l’individu et pour la société. Il y a plus qu’incompatibilité d’humeurs entre les uns et les autres.

— Vous avez l’intention de me guérir ?
— Surtout pas. Votre maladie vous est salutaire. Si vous n’étiez à ce point dans l’illusion, vous ne seriez pas si intéressante.

Le message ne peut bien entendu, que rencontrer l’approbation du lecteur en ce roman où l’humour ne manque pas de faire mouche ; comme toujours sous la plume précise et incisive de l’académicienne. Cependant, le texte invite peut-être à aller plus loin que le procès-verbal des relations qui s’y nouent. En effet, tout lecteur pourrait au bout de ce livre se sentir plus responsable de ses lectures et penser les partager plus activement autour de lui. A fortiori d’une génération la suivante. Pas seulement le corps enseignant et professoral. Les parents aussi. Ceux-ci même avant tout le monde. Sous peine d’accentuer les difficultés de l’adolescence de leur progéniture.

La puberté relevait du casse-pipe, du darwinisme exagéré. C’était sans doute une erreur de l’évolution, au même titre que l’inflammabilité de l’appendice.

En douteriez-vous ? Lisez Les aérostats.

Tito Dupret