Philippe LEUCKX, Poèmes du chagrin, Coudrier, 2020, 109 p., 18 €, ISBN : 978-2-39052-012-2
Poète de la simplicité, Philippe Leuckx est l’auteur de plus de cinquante recueils. Cependant, celui-ci sort du lot car il n’est pas le fruit de l’inspiration du quotidien, dont il s’est fait chantre. Les Poèmes du chagrin sont l’enfant d’un deuil, celui de Gaby, sa compagne pendant quatre décennies. Quatre photos, dont un portrait d’enfant sur la couverture, permettent de mettre un visage sur l’aimée.
Un deuil connait cinq phases à la fois psychologiques et sociales. Pour surmonter la vertigineuse chute d’un décès, l’écriture permet de les dominer, voire de les transcender. A fortiori pour une auteur tel que Philippe Leuckx. Avec plus de quatre-vingts poèmes, tous les degrés de la douleur semblent traversés, exprimant leurs cruelles humeurs dans le grand désordre créé par la perte. Quand je touche la lumière, elle résiste comme une roche.
Ombre et lumière sont omniprésentes, points d’attention communs, centraux, dans l’œuvre globale du poète. Quoiqu’à présent, sans repos, l’une rejette brutalement dans l’autre, balançant ainsi le corps et la plume contre La lumière, ce mur de mer sale entre le monde et moi. Frontière frontale, sans nuances, le photon brûlant est confronté au soir dont Le ciel déjà noir ensemence solitude et chagrin. Plus que tristesse, le deuil impose déni et sidération. Ici, déni de l’aube et du crépuscule. Là, sidération, foudroiement, où je bats / de nouvelles cartes / pour quel autre visage / entrevu au fond de ma peur ?
Cependant, Tiens-toi au-dessus de l’angoisse / Prends sur toi de ne rien faire / Qui ne soit l’office du cœur. L’auteur s’impose une discipline des émotions : tant à leur accueil par l’écoute que pour leur expression. Tout à l’heure ballotté entre ombre et lumière, le voici bousculé entre solitude et amitiés : Je vais, je le sens, porté par l’encre / noire en dépit des éclats de bonté / que m’adressent beaucoup. Où l’encre déborde de la ligne, noire. Où, page suivante, On doit s’habituer à n’entendre que son pas et si l’on veut partager une impression, le soliloque répond. C’est bien l’une des phases du deuil : entrer en relation avec autrui ou bien maintenir une amitié sont très affectés.
Il s’ensuit les tentatives de restructuration intime pour reprendre goût à la vie. Le cœur s’arrime sans raison à de bien pauvres joies. Ailleurs : On ne sait presque rien de l’été qui s’enfuit ni l’âge que prennent les choses. / Qu’est l’oiseau pour la rose qu’il frôle ? De sorte que, malgré les efforts, Le chagrin plisse les yeux. / Le cœur s’amenuise. On marche à reculons vers le temps qui n’est plus et qui était présence. / On se sent inerte. / On va de là à là sans raison sans ressort.
La dépression guette. Mais le temps, pourtant ennemi apparent, est le seul ami vraiment, toujours présent. Telle est la vibration qui émane de cette publication capable d’aider chacun d’entre tous, forcément confronté à un moment de sa vie, à tel malheur.
La force du poète, et sa contribution, sont d’apporter les mots, à la fois exacts et éthérés, dont nous avons, dont nous aurons besoin. Les Poèmes du chagrin remplissent cette fonction ; au-delà même des souffrances de l’auteur.
Tito Dupret