Les pieds dans le plat agro-alimentaire

Noëlle MICHEL, Viande, LiLys, 2020, 252 p., 20 €, ISBN : 978-2-930848-89-1

Le roman Viande s’est retrouvé en finale du prix Fintro Écritures noires 2018. Et LiLys le publie deux ans plus tard. Avec une mise en page un peu rudimentaire (pas de retrait) mais un texte soigneusement poli.

Noëlle Michel, l’autrice, une ex-ingénieure d’origine dijonnaise, vit à Gand. Une Française passionnée par le néerlandais !

La couverture de Viande annonce un « thriller fantastique ». Fantastique ? Dès les deux premières pages, Noëlle Michel précipite son lecteur dans l’horreur et la sidération, au côté d’une femme réduite à un rôle de reine-mère pondeuse, bourrée de médicaments, de calmants, d’hormones, les dents arrachées, etc. Un élevage industriel, où l’humain aurait remplacé l’animal, dans un futur proche ? Une variation libre sur le thème de La planète des singes ?

Le roman qui s’ébauche ensuite épouse plutôt une allure policière. Avant de basculer…

Le pitch ?

Lisa, la narratrice/héroïne, rend visite à sa meilleure amie, Caroline, qui vient d’accoucher à l’hôpital. Au-delà des échanges de circonstance, des détails interpellent, qu’on pressent indiciels. David, le jeune père, se moque du végétarisme des deux amies et encourage la consommation de viande. Pis encore, on apprend qu’il travaille comme chercheur au service de l’industrie agro-alimentaire quand Lisa elle-même, journaliste, enquête sur le braquage d’une banque de sperme. Indice, aussi et déjà, à la première ligne du premier chapitre, quand l’héroïne, avant son arrivée à la maternité, croise une SDF et sa rengaine (qui renvoie aux premières pages) :

« Ils sont là ! Ils sont parmi nous ! Ah, pauvres idiots, vous ne les voyez pas ! »

Revenue chez elle, Lisa allume la télévision. Stupeur ! L’hôpital qui accueille Caroline et Prune, son bébé, est en feu. Lisa se précipite sur les lieux du drame et…

On le devine, Caroline et Prune vont disparaître. Brûlées, pour la police, la justice, le mari. Mais peut-être enlevées, si on analyse quelques détails :

« Je suis en train d’arpenter le bitume un peu plus loin lorsque je repère deux hommes de grande taille. Ils se tiennent à bonne distance du barrage policier, immobiles, et observent la scène. Je distingue assez nettement leurs visages aux traits figés comme des masques de poupée. »

On songe aux Envahisseurs, au doigt rigide qui permet de les identifier. Et, de fait, Lisa va se voir progressivement entraînée vers des investigations très périlleuses, un ennemi impossible, une hypothèse atroce.

N’en disons pas plus sur la trame. Qui constitue l’essence du livre. Une course poursuite, avec enlèvements, éliminations, mystères et suspense, etc. Quelle puissance occulte affronte Lisa ? Et a-t-elle les moyens de s’y opposer ? Elle est fort seule au départ du récit. Célibataire, orpheline de père, éloignée de sa mère, ne pouvant se fier aux hommes, etc. Mais c’est une grande sportive, une fille-garçonne qui pratique le kickboxing, l’escalade. Et il y a ce vieux collègue alcoolique, Francis, qui croit avoir mis la main sur des informations capitales et lui propose une collaboration. Puis cet autre, Samir, qui semble s’intéresser à elle de manière plus intime…

L’écriture ? Simple et aisée, sans accroc. Au service absolu de la narration. Ce qu’on peut admettre tout en regrettant l’absence d’un plaisir du mot, de la phrase.

Quant aux contenus… Les thèmes centraux sont accrocheurs et éthiques : dénonciation du spécisme et des dérives concentrationnaires (dans les abattoirs, les laboratoires, la chaîne) de l’industrie agro-alimentaire. Mais je m’interroge. Ces matières ne sont-elles pas trop connues ? Noëlle Michel aurait-elle gagné à demeurer dans le registre de l’hyper-réalisme (et du documentaire, infiltré dans Viande) au lieu de bifurquer vers le fantastique ?

Quoi qu’il en soit, l’intrigue est au cœur du projet éditorial. Et, hormis quelques naïvetés (les rapports Lisa/Samir ou fille/mère), le récit progresse de manière fluide et mouvementée, rehaussé même par quelques scènes haletantes. Bref, impossible de s’ennuyer.

Philippe Remy-Wilkin