Un mur de lamentations

Marc CHAMBEAU, Restez chez vous ! Portes closes, Cerisier, 2020, 146 p., 12 €, ISBN : 978-2-87267-226-4

marc chambeau, Restez chez vous! Portes closesIl faut nommer pour appréhender. Chaque récit porte ici le titre d’un ou deux prénoms, à quatre exceptions près. Soit trente portraits courts. Autant de vies croquées, à crans et à crocs du microbe. Restez chez vous ! Portes closes. Voilà bien l’inhumaine injonction imposée par un virus couronné maître du monde depuis le printemps dernier. Maintenant, c’est l’automne et les vies virevoltent en tombant comme des feuilles sous la plume de Marc Chambeau qui ne craint pas l’anticipation.

Septembre 2025 : Déclaration de victoire dans toute l’Europe. (…) Vingt-cinq mille morts tués par le virus jonchent finalement le champ de bataille. Et on ne compte pas les vies dévastées par les faillites, par les licenciements, par les impossibilités d’organiser un nouveau monde et la volonté de poursuivre comme avant…

D’une écriture sobre, refusant l’excès, l’ouvrage sous-titré Cris, chuchotements et colères au temps du virus, se veut presque didactique. C’est par clarté et aussi par distanciation morale et mentale. Car l’auteur, travailleur social pour la jeunesse, la psychiatrie et la prison, est en première ligne. Il témoigne du quotidien de ses interlocuteurs. Et la colère est si forte qu’elle en devient froide. Il s’en exige la complète maîtrise. Il se fait didacticien des émotions contenues. Les personnes épinglées dans son livre forment un véritable mur de lamentations.

Si, malgré la souffrance, malgré le respirateur, elle a encore pu tenter de rassurer tout son petit monde, c’est seule qu’elle est partie. Seule. Une maman d’une famille aimante, avec huit enfants, seize petits-enfants et deux arrière-petits-enfants.

Il s’agit moins de plaintes matérielles que d’agonies psychologiques. Un désastre donc invisible, en cours et à venir, qui dépasse nos sens, qui sourd du néant et laisse démuni, voire horrifié. La description simple de faits triviaux et des sentiments intimes portant autant de prénoms augmentent le désarroi et l’inquiétude. Seules les brisures, les ruptures, vives et visibles monstreront bientôt ce qui nous échappe encore.

Mais nom di diou ! Ce n’est pas dans un mois que j’aurai besoin que ma fille me prenne dans ses bras. C’est maintenant ! Et ce n’est pas un caprice ! C’est une nécessité !

Bien sûr, la raison sage ira toujours se poster sur la rive, pour y regarder sans y toucher : tous ces bruits et soupirs ne sont-ils pas paradoxaux ? Lisant ces portraits, tous semblent dire que « c’était mieux avant ». Tout en insistant pourtant sur l’héritage d’échecs politiques et sociaux abyssaux, continus, successifs, sans fonds et sans fin.

Les réalités du terrain, elles sont bien connues et bien documentées. En maison de repos, quand on se sent abandonné, on se laisse mourir. Ça, ce sont les réalités de terrain. Les réalités de terrain, c’est qu’on crève oui ! De solitude !

Oui, trois fois oui ! Quid du monde nouveau ? De demain plus humain, solidaire et moins solitaire ?

Tito Dupret