Pas toujours rigolo, la vie de mère

Véronique GALLO, Pour quand tu seras grande, Héloïse d’Ormesson, 2020, 176 p., 17 € / ePub : 11.99 €, ISBN : 978-2-35087-738-9

gallo pour quand tu seras grandeVéronique Gallo pratique plusieurs formes d’écritures : une écriture destinée à être partagée et portée par sa voix, ses mises en scène, à travers sa série humoristique Vie de mère ou son spectacle The One Mother Show, où elle met en scène avec humour les affres d’une vie de femme/mère/professionnelle, au bord de la crise de nerfs. Elle exerce une autre écriture, plus silencieuse comme on le dirait d’une lecture silencieuse, moins médiatique, destinée à une rencontre intime avec les lecteurs et lectrices : celle de romans. Deux écritures, l’une humoristique, l’autre tragique, pour une même réalité : celle de femmes obligées d’assurer sur plusieurs fronts.

En 2012, cette ex-prof de littérature a publié un premier roman, Tout ce silence (éditions Desclée De Brouwer, rééd. Pocket, 2020) où elle abordait le poids des non-dits dans une famille, thème qui revient dans Pour quand tu seras grande.

Fatiguée par son métier d’enseignante, dépassée par ses trois enfants, lassée par un mari empoté, accablée par les reproches de sa mère, Marie frise le burn out parental. Le roman commence en mode familial, au plus proche de son quotidien, lorsqu’elle relaie ses parents, Liliane et Jacky, venus garder ses deux fils, Tom et Jean, ainsi que son bébé de 4 mois, Lena. Une scène au ras du vécu, avec une grand-mère interventionniste qui juge constamment la manière dont Marie éduque sa marmaille. Elle passe la soirée en solo, découragée, confrontée à la perte de désir pour son mari depuis la naissance de la troisième. Commencé en mode mineur, le livre connaît une tension émotionnelle et psychologique croissante, lorsqu’un coup inattendu est asséné à l’héroïne par son plus fidèle allié : son père, Papyja. Celui-ci s’est donné la mort dans la solitude de son bureau.

C’est dans un contexte particulier, la salle des profs de son école, que Marie est informée de la tragédie par sa meilleure amie et collègue dans un climax émotionnel que campe avec précision Véronique Gallo. Il en est de même pour la scène des funérailles, une cérémonie banale, vide de sens, à laquelle assiste un couple mystérieux, éploré et distant. Des inconnus dont la présence intrigue Marie comme la face cachée d’une existence qui lui a échappé.

Face au lourd secret que cache la disparition de son père, Marie a décidé de mettre sa douleur en quarantaine. « Et la vie reprendra avec ses faux-semblants et ses non-dits et tout le monde fera de son mieux pour retourner à la somnolence d’un quotidien sans saveur. Il suffira d’y croire, et le pansement tiendra. Oui, il tiendra. » Mais la vie ne l’entend pas toujours de cette oreille. Il y a des barrages de silences que l’existence s’ingénie à bousculer. Malgré sa volonté de croire à une vie normale, Marie souffre de nombreuses crises d’angoisse, somatise sa peine, sent la nécessité de multiplier les tête-à-tête avec sa mère qui s’énerve face à ses questions et ses insinuations, se dispute de plus en plus fréquemment avec son mari qui lui reproche son hystérie, est déçue par l’indifférence de son amie accaparée par un nouveau grand amour. Son monde s’effondre et elle perd pied. « … vivre avec des fondations à ce point ébranlées s’avère de plus en plus périlleux. » Marie jette ses dernières forces dans des confrontations avec sa mère pour forcer le secret du père, cet homme qu’elle admirait, qui l’admirait et qui était son rempart contre les adversités. Un père dont elle a ressenti la mort comme une trahison avec la complicité silencieuse de la mère. Poussée dans ses derniers retranchements, celle-ci laisse entrevoir la vérité. Quand le secret du père sera levé, Marie découvre que l’omerta avait été générale, dans le but de la protéger, elle, contre sa volonté. « (Marie) n’en peut plus de cette famille. De leur duplicité, de ce simulacre, de ces secrets remplis de prétendues bonnes intentions, elle est une erreur, voilà ce qu’elle est, elle est le fruit de deux êtres qui n’auraient pas dû être ensemble, d’un couple contraint à former une famille, prêt à tout pour sauver les apparences et persuadé de la préserver ainsi du désastre. »

Véronique Gallo a créé un dispositif narratif intense autour de scènes-pivots, comme celle où la mère décide de dire l’indicible, malgré l’interdit paternel, tout en repliant les habits du défunt. Un coin de voile ayant été levé, il reste à Marie à tirer sur le fil de la pelote de la vie de ses parents, en particulier de son père qui a accumulé les désillusions et aurait voulu offrir mieux à sa fille. Entre modernité et secrets de famille, Véronique Gallo combine astucieusement le tourbillon de la vie d’une femme d’aujourd’hui et la lente appropriation d’une nouvelle identité.

Michel Torrekens

 

Un extrait de Pour quand tu seras grande proposé par les éditions Héloïse d’Ormesson