Nues

Un coup de cœur du Carnet

Jacques RICHARD, Nues, ONLIT, coll. « ONLIT Mini », 2020, 80 p., 8 €, ISBN : 9782875601261

richard nues« Nues, en pied et grandeur nature. De face », les yeux plongés dans ceux de l’artiste. Toiles de mêmes dimensions, supports de qualité identique, toujours de la peinture à l’huile. Pas de décor. Et un « travail d’un réalisme précis, mince et sans effets ». Voilà comment Jacques Richard a peint plusieurs femmes entrant dans la jeunesse ou la quittant, trop maigres ou trop charnues, rétives ou généreuses, inconnues ou familières, maniérées ou naturelles. De son regard parfois gêné et intransigeant, Richard les a dévisagées, contemplées sans désir, observées (face à face ou sur papier glacé) avec « l’urgence patiente d’un ours pêchant au bord de la rivière » ; il a guetté leur apparition et a reconstitué cette impression tout en fugitivité et subjectivité pour qu’elles demeurent « quelqu’un ». Une démarche pleine qui s’inscrit dans la durée, le respect et la méthode.

Devant son œuvre de peintre et d’écrivain, un constat s’impose : il y a quelque chose d’impeccable chez Richard. Rien d’académique ni d’attendu, non ; tout tombe « simplement » parfaitement. Il est ce gant en cuir souple de mots ou de traits, qui épouse délicatement la main du Réel, lui offre de nouveaux contours fidèles, la masque tout en la révélant, lui confère une épaisseur particulière et unique. Dans son travail pictural, Richard se revendique d’ailleurs d’une tradition réaliste, « [s]ans sécheresse, mais sans concessions. Certainement pas au goût, bon ou mauvais, ni à un “style” quel qu’il soit. Pas neutre non plus, pas plat. Nu. Comme la femme devant [lui] ». Sans faux-semblants ni impostures : il ne (se) cache pas, ne (se) gonfle pas, ne (se) dérobe pas ; Richard assume. Et il est en recherche, sans trop discerner les contours de sa quête qui peut demeurer imprécise, les intentions s’éclairant quelquefois avec le temps. Et c’est sa dynamique propre d’appropriation et de distanciation que Richard encre dans les pages de Nues, un essai personnel (qui ne s’alourdit pas du nom) rassemblant des réflexions et des interrogations traversantes.

Élégance, sobriété, intelligence, honnêteté. Profondeur. Chaque rencontre artistique avec Richard déconstruit les évidences et décale légèrement les perspectives. Par ses mots délibérément non ampoulés, il permet ici au non-initié d’appréhender une démarche de peintre, d’envisager la complexité des relations (la triangulation artiste–modèle-spectateur, celle plus magrittienne objet-représentation–dénomination, etc.), de sonder l’évolution de la trace. La reproduction de certains (morceaux de) portraits en regard de ses descriptions textuelles termine de convaincre de la puissance et de la cohérence mystérieuse de son univers.

Nues est suivi de Sur le dessin, un bref recueil d’aphorismes dédié à ses élèves. Modestement, Richard questionne les lignes, recrée des ponts entre analyse et émotion, fait correspondre les mouvements de la danse et du dessin, souligne la grâce du geste étranger et du trait qui s’échappe, prouve à nouveau que le tout est plus que la somme des parties, affirme que dessiner mal et voir mal c’est dessiner et voir quand même, refuse le style et accepte de ne pas tout contrôler. Pour finalement pondérer : « L’art n’est pas le seul fruit de la sensibilité ou de l’instinct, mais aussi de la pensée et de la raison. C’est dans leur rencontre que la création trouve son équilibre. » Une leçon non pontifiante, mais magistrale.

Samia Hammami