Presque rien sur presque tout…

Jérôme POLOCZEK, Presque poèmes, Tétras Lyre, 2021, non paginé, 16 €, ISBN : 978-2-930685-59-5

poloczek presque poemesLe minimalisme faussement naïf de Poloczek nous avait ravis dans un précédent livre paru en 2018 aux éditions de L’arbre à paroles sous le titre étrange Autubiographie. Une forme d’expérience biographique sous le signe du tutoiement avec lui-même et donc avec chacun, un work in progress biographique global en somme pour cet auteur qui est aussi plasticien et performeur.

Avec ce nouveau recueil à la conception graphique originale, au format A6 (petit poche), à la couverture jaune éclatant qui contient dans le rabat intérieur deux dessins crayonnés, l’objet se fait l’écrin parfait au texte expérimental que nous propose l’auteur. Avec l’économie de moyens qui caractérise sa langue, Jérôme Poloczek poursuit ici son exploration du corps social en déplacement constant. La fuite, la cadence des corps qui interagissent sans cesse dans un univers en perpétuelle expansion, monde frénétique où les âmes s’agitent. Le regard épuré du poète qui, d’un trait de plume, esquisse une main, un dialogue, une anecdote, un baiser entre deux amants ; de petits riens en apparence et qui balancent entre émerveillement et désenchantement, entre incompréhension et désir de savoir.

donc la Terre existe
et l’Univers
et
des milliards d’ans

je me brosse les dents
j’essaie de comprendre

Donc des presque poèmes qui trébucheraient comme trébucherait presque le badaud insouciant sur un pavé mal serti. L’enfant ahuri qui joue en chantonnant, la main crochée à celle de son parent. Le corps encore qui grandit, reproduit les gestes, singe et s’arme. La poésie charnelle de Poloczek réveille nos mains et caresse nos doutes. Au niveau formel, l’absence de pagination et la raréfaction de la ponctuation augmentent ce sentiment de prise en compte d’un tout vaste et enivrant, des tranches de vie morcelées, engagées toutes dans la grande énigme du monde. Immense terrain d’expérimentation que balisent les bouts de poèmes de Poloczek. Des absurdités, des élégances, quelques certitudes, beaucoup plus d’incertitudes, et le poème qui surgit au détour d’une ruelle et c’est le monde qui reprend, infini, le chant des pistes…

j’ai regardé le courrier de mon immeuble
une lettre est arrivée
pour un homme mort
                *
les amants qui se tiennent la main
depuis longtemps
je me demande s’ils se rassurent
comme des enfants

Rony Demaeseneer