Le pacte des femmes

Agnieszka LOSKA, Le néofantastique féminin d’Anne Duguël, Wydawnictwo Uniwersytetu Śląskiego, 2020, 228 p., 8 € (29,90 zł), ISBN : 978-83-226-3864-4

loska le neofantastique feminin d anne duguelEn décembre 2020, parait en Pologne Le néofantastique féminin d’Anne Duguël, première monographie consacrée à l’autrice belge plus connue sous le nom de Gudule (célèbre pour ses romans destinés à la jeunesse).

Dans cet ouvrage, Agnieszka Loska, docteure en lettres à l’Institut d’Études littéraires de l’Université de Silésie, s’intéresse à l’autre versant de l’œuvre d’Anne Duguël. Celui consacré aux adultes. Si cette étude n’entend pas embrasser tous les livres de la boulimique autrice, elle permet d’entrevoir comment Anne Bocquillon-Liger-Belair (1945-2015) s’est emparée d’un genre cher aux lettres belges. Le fantastique. Comment, surtout, elle l’a fait évoluer. À sa façon. En déambulant « dans les méandres féminins ».

Le fantastique est un genre littéraire qui connait, depuis le 19e siècle, de nombreuses métamorphoses. On emploie même le terme de néofantastique pour désigner ces évolutions thématiques et formelles dans les écrits du 20e siècle. Des transformations qu’Anne Duguël provoque elle-même dans ses récits, elle qui s’occupe de singulariser le néofantastique de son écriture féministe au point d’en faire un néofantastique féminin. C’est du moins ce que postule Agnieszka Loska dans cette étude qui montre comment Anne Duguël se sert du genre pour parler de la femme.

Protagoniste, narratrice, lectrice

La femme comme protagoniste, d’abord, car Anne Duguël met en scène une femme là où le fantastique a pour habitude de voir évoluer un homme. Ce choix renouvèle le genre et permet « d’aborder des thèmes nouveaux, absents du (néo)fantastique » comme les inégalités homme-femme, la solitude dans le mariage, le vieillissement de la femme.

La femme comme narratrice, aussi, afin de voir comment se racontent émotions et sentiments et comment ces choix de narration accentuent « la dissonance entre les émotions du personnage-femme et le monde extérieur ».

La femme comme lectrice de la prose duguëlienne, enfin. En s’appuyant sur les théories de la réception et la critique littéraire féministe, Agnieszka Loska interroge en quoi la « réception du néofantastique duguëlien par une lectrice » serait « différente de celle effectuée par un lecteur ».

Le phénomène (au) féminin

Dans la dernière partie de son étude, Agnieszka Loska traite de la problématique du phénomène fantastique dans l’œuvre d’Anne Duguël.

Rappelons que le « texte (néo)fantastique repose sur une relation triangulaire entre le lecteur, le personnage et le phénomène » (Nathalie Prince) où le personnage est le « protagoniste humain » et le phénomène ce « vaste ensemble de tous les objets et figures fantastiques anxiogènes, humaines ou non, ainsi que les troubles mentaux comme, entre autres, la folie » (Joël Marieu).

Chez Anne Duguël, personnage et phénomène fondent à deux la féminité de son œuvre en ce que c’est la « corrélation étroite entre le phénomène et l’univers féminin [qui] fraye des chemins nouveaux dans le domaine du (néo)fantastique ».

Pour Loska, cela s’articule autour de trois axes thématiques liés à la figure de la femme (l’espace et le temps ; les objets et figures néofantastiques anxiogènes ; les personnages-phénomènes anxiogènes comme les revenants et les vampires) qui offrent à Anne Duguël de donner à voir des situations de femme. Situations qui s’incarnent par exemple dans la maison (espace), présentée comme le lieu de la domination masculine avec ses règles patriarcales qui impliquent l’oppression de la femme. Situations que l’on observe aussi dans le traitement du temps, étroitement lié à la biologie féminine, qui permet d’envisager les étapes clés de la vie des femmes (mariage, maternité, ménopause, etc.) en explorant en quoi elles influencent la femme dans son rapport à l’autre, à elle-même.

L’originalité des récits d’Anne Duguël tient donc dans sa capacité à faire de la femme un « personnage-phénomène », où elle se sert du néofantastique pour parler de la femme, « ses peurs, des relations qu’elle entretient avec hommes, femmes, enfants ». Avec elle-même. C’est d’ailleurs « cette omniprésence de l’élément féminin dans l’œuvre d’Anne Duguël qui en fait une catégorie à part dans le néofantastique – le néofantastique féminin ».

Amélie Dewez