Pierre CORAN et Charlotte GASTAUT, Siegfried et le dragon, Père Castor-Flammarion, 2021, 32 p., 14 €, ISBN : 9782081495081
Il existe bel et bel des artistes-monstres, dont le seul nom peut tenir à distance par le gigantisme de leur œuvre, l’immensité de leur talent, la complexité de leur biographie. Wagner fait partie de ces élus. Approcher son univers intimide, décourage parfois malgré la fascination exercée, de la même façon que l’on hésiterait peut-être à flirter avec une walkyrie croisée dans un bar. Et c’est en cela qu’un album comme Siegfried et le dragon facilite le défi avec un naturel désarmant : le massif devient élégant, la résistance se fluidifie, l’obscur s’illumine.
Pierre Coran raconte, dans la langue des contes, un épisode de la vie de Siegfried initialement narré dans L’anneau du Nibelung du compositeur allemand. Ce dernier puisait lui-même son inspiration dans une terre fertile, celle des mythologies scandinaves et germaniques, et des chansons médiévales, les traditions se renforçant dans leurs variations. Coran s’est penché particulièrement sur le moment de transformation de Siegfried, quand il commet ses premiers faits de glaive. En effet, l’orphelin, recueilli et élevé près des bords du Rhin par l’ambivalent nain Mime, apprend un jour le secret de ses origines. Sur la lancée, le père de substitution profère des paroles qui sonnent le glas de son enfance et l’emportent vers sa destinée : « Dans la vallée, révèle-t-il, un anneau d’or a été caché au fond d’un gouffre. Qui le détiendra sera le maître de l’univers. Mais seul un héros qui ne connaît pas la peur peut y parvenir. » Car un dragon mangeur d’hommes garde férocement le trésor convoité, et le défend de toutes ses flammes et ses écailles… Commence alors la quête initiatique du « Joyeux vainqueur » qui aura la douce saveur des victoires et de l’amour brûlant, mais aussi l’amertume du dessillement et de la déception.
Si l’auteur a dessiné une trame claire et classique par ses mots, Charlotte Gastaut, elle, a insufflé la grandeur et la puissance par ses illustrations. Elle a créé des tableaux ascensionnels, dont la verticalité, la superposition des plans et les couleurs intensément présentes soulignent l’impression de mise en scène et d’ornementalité. Et les quelques touches dorées ça et là, reflétant la lumière, ne font qu’accentuer le plaisir ressenti à examiner les feuilles, cheveux, serpents, flammes et autres représentations graphiques. Siegfried et le dragon se révèle une lecture réjouissante, qui possède l’énorme qualité de rendre curieux, de donner l’envie d’aller plus loin, de remonter aux sources. On finirait même par écouter un opéra wagnérien (où les fins sont certes moins heureuses)… ou séduire une walkyrie ! Pourquoi pas ?
Samia Hammami