Caroline LAMARCHE, L’Asturienne, Impressions nouvelles, coll. « Traverses », 2021, 340 p., 22 €, ISBN : 978-2-87449-893-0
Oui, qui vraiment étions-nous ? se demande Caroline Lamarche dans son dernier récit, L’Asturienne, qui parait aujourd’hui aux Impressions Nouvelles et dans lequel elle (re)découvre l’histoire des siens.
Tout commence douze ans après le décès de son père (2001), dans la cave de la maison familiale où l’autrice retrouve une vieille malle contenant des dizaines de dossiers, autant de documents soigneusement archivés par Freddy Lamarche sa vie durant. Caroline Lamarche entame alors un long travail de recherches qui l’amène à poursuivre le grand œuvre du père, recomposant l’histoire de la famille Lamarche-Hauzeur, ces pionniers de la métallurgie.
Dans une langue ciselée, l’autrice retrace comment ses aïeux, d’abord propriétaires terriens en Hesbaye, terminent au fond des mines, à exploiter le charbon pour faire fondre des blendes caramels (ou sulfure de zinc cristallisé aussi appelé sphalérite) afin d’en récupérer des lingots de zinc.
Trois mariages entre les deux familles Lamarche (pour le tabac, la Fabrique de Fer et les Houillères d’Ougrée) et Hauzeur (pour le charbon d’Arnao, Asturie) scellent le destin de cette dynastie qui participera du déploiement industriel de Liège, de l’Europe et d’ailleurs.
Au départ l’autrice établit essentiellement la chronique de ces hommes, ingénieurs des mines, et femmes qui se sont succédé dans sa généalogie – avec de belles anecdotes comme celle qui veut que Jules Hauzeur découvrit par hasard, au moyen d’un petit marteau, la mine de zinc exploitée à partir de 1853 par la Compagnie royale asturienne des Mines, dite l’Asturienne. Caroline Lamarche s’éloigne toutefois progressivement de cette somme pour dire aussi quels autres liens la prospérité économique de cette famille de décideurs a entretenu avec l’Histoire européenne des 18e, 19e et 20e siècles. Parce que la démarche est rigoureuse. Et quand les archives familiales s’avèrent incomplètes ou manquantes, l’autrice n’hésite pas à prendre contact avec Alfonso Garcia Rodriguez, responsable du fonds Archivo Historico de Asturiana de Zinc en Asturies et à se rendre sur place pour combler les blancs. Ce qui revient à accepter que son histoire soit aussi liée à celle de cet homme, croisé au détour d’une route, qui lui parle des « pauvres d’Udias », tous ces gens paupérisés par la fermeture de l’Asturienne.
Il est alors (entre autre) question de grèves et de conditions de travail des ouvriers (fin 19e, début 20e siècle), dont un management paternaliste attendait qu’ils soient loyaux et obéissants. Il est question de la catastrophe de la Luciana en 1960 (coulée de boue émanant des déchets de la mine qui balaya une rue ouvrière, tuant dix-huit voisins, hommes, femmes, enfants) dont on ne trouve presqu’aucune trace dans les documents officiels de l’Asturienne. Il est aussi question des drôles de rapports que Louis Hauzeur, dit Maxi Louis, entretint avec Franco pendant la dictature espagnole (on le voit poser avec El Caudillo sur une photo, trace d’une chasse qu’ils firent ensemble). Autant de coups de griffe dans la toile de maître qu’est la famille de Caroline Lamarche avec cette question, comme un refrain : « qui étions-nous, exactement ? ». Question qui prend un autre genre d’intensité quand on sait que la naissance de l’autrice coïncide avec l’épuisement du filon de cette glorieuse époque (son père sera le dernier ingénieur des mines de la famille, celui qui assista au déclin et à la fin de l’Asturienne). Question qui pourrait alors devenir : qui sommes-nous quand il n’y a plus rien ?
Dans L’Asturienne, Caroline Lamarche traite un sujet pointu (voire ardu) avec précision. Et l’on voit apparaitre, entre les lignes de la chronique, l’autre récit. Celui de la perte. De l’héritage. De ce que ça peut faire d’être héritière de tout cela qui n’est plus et qu’elle observe, en outsider.
Ce récit, comme une blende caramel de ce que fut la vie des siens.
Mais alors, par quel type de procédé altérer le minéral pour faire autre chose de cette histoire familiale ?
Ce récit comme un point de départ d’un autre récit ?
Amélie Dewez