Gabriel RINGLET, Va où ton cœur te mène, Albin Michel, 2021, 152 p., 18,10 €, ISBN : 9782226462329
Gabriel Ringlet, prêtre, théologien, journaliste, poète, nous revient avec un nouveau livre Va où ton cœur te mène. Si ses précédents ouvrages relevaient de la réflexion, nourrie de témoignages, sur la fin de vie (Vous me coucherez nu sur la terre nue, 2015), sur les rites et leur nécessaire évolution (La grâce des jours uniques, 2018), il renoue avec le genre narratif et nous invite à découvrir et redécouvrir le prophète Elie, une des grandes figures de la Bible dans le premier livre des Rois, Elie dont la « carrière » se déroule au 9ème siècle avant notre ère, sous le règne du roi Akhab, roi d’Israël, et de sa femme Jézabel, une princesse cananéenne.
Le lecteur de la Bible connaît, en gros, les démêlés d’Elie avec le couple royal, le défi qu’il lance seul face aux 400 prêtres de Baal et qui se conclut par un grand massacre, sa fuite dans le désert. Il connaît peut-être le miracle de l’huile et de la farine qui ne s’épuisent pas… De toute façon, pas besoin d’être un familier du texte biblique tant l’auteur manie l’art de raconter (tout en informant mais pas trop), de tisser l’histoire de ce personnage à la fois irritant dans son zèle violent et attachant dans ses moments de faiblesse et de découragement.
Si le fil narratif des exploits d’Elie est ancré dans le terreau biblique, il ne s’agit pas pour autant d’un « roman historique » ; l’enjeu est au contraire « de voir se lever des héritiers de ce souffle brûlant [d’Elie]. Mais d’une brûlure douce comme une caresse. Car voilà bien l’exceptionnelle modernité d’Elie : il n’adoucit pas le feu mais il donne feu à la douceur. » Elie conçoit les choses en grand, sur le mode spectaculaire et « formidable » – la sécheresse, la tempête, le feu dévorant – mais Dieu va lui apprendre les vertus essentielles de ce qui est petit. C’est ainsi qu’après avoir écrit L’éloge de la fragilité (2004), Gabriel Ringlet dresse l’éloge du peu : un peu de farine, un peu d’huile au quotidien, la voix d’un fin silence…
Et là, la litanie des différentes traductions du texte biblique se fait poème :
Et après le feu…
Un son doux et subtil
Une voix, un silence subtil
Le bruit d’une brise légère
Un bruit de fin silence
Le bruissement d’un souffle ténu
Le bruissement d’un subtil murmure
Le murmure d’un silence qui s’évanouit
Et c’est ainsi que la poésie – celle de Gabriel Ringlet et celles des poètes qui l’accompagnent depuis des années (Philippe Jaccottet, Sylvie Germain, Jean Grosjean, …) – rejoint la prophétie et devient elle-même proposition d’une parole nouvelle; les harmoniques résonnant entre l’ancien et le contemporain créent un pont entre ici et là-bas, entre avant et maintenant, révélant l’unicité de la nature humaine, de ses aspirations profondes et de ses ressorts intimes.
C’est ainsi, aussi, que le manteau d’Elie, transmis à Elisée en signe de filiation prophétique, est appelé à devenir, dans les mains et le cœur de chacun, un manteau de fraternité car, « ce beau geste du manteau d’Elie, je crois qu’il nous appartient. Ce souffle prophétique n’est pas réservé à quelques-uns. (…) Chacune, chacun peut en avoir un petit bout en héritage et refaire alors cette jetée créatrice sur quelqu’un qui a faim, qui a soif, qui est nu, malade, étranger ou en prison ».
Parmi toutes les qualités de ce récit, on peut s’étonner, et même regretter, de voir encore utilisé le vocable « Yahveh », alors que la TOB (Traduction Œcuménique de la Bible) ne le fait plus depuis 2010 et recommande d’adopter « Le Seigneur » ou le tétragramme non vocalisé (YHWH), à la fois pour éviter la connotation avec le douteux « Jéhovah » et pour se rapprocher de la sensibilité du judaïsme en ne prononçant pas l’imprononçable, ce qui est une manière de ne pas « mettre la main » sur Dieu en s’imaginant le connaitre par son nom.
Lors du repas annuel célébrant la Pâque juive, chaque famille laisse une place libre « pour le prophète Elie, s’il revenait aujourd’hui ».
Si vous laissez, sur votre table de chevet, une place à ce livre qui vous mènera par le cœur, vous ne le regretterez certes pas.
Marguerite Roman