Des chats, des souris et des hommes

Anne RICHTER, La fourmi a fait le coup, Samsa, 2021, 20 €, ISBN : 9782875933645

richter la fourmi a fait le coupAnne Richter a quinze ans lorsqu’elle rédige les dix-sept contes rassemblés dans le recueil, La fourmi a fait le coup, réédité aujourd’hui par Samsa.

Et si le titre peut paraître enfantin, que l’on ne s’y trompe pas, l’écriture et les sujets traités témoignent de la grande maturité de l’autrice en devenir. Dans ce premier ouvrage annonciateur du réalisme magique qui imprégnera plus tard l’ensemble de son œuvre, les animaux et les insectes se mettent à parler et les objets à s’animer parce qu’ils ont des choses à dire et à faire comprendre aux humains qui les chassent, les utilisent, les ignorent ou les délaissent.

Ainsi de cette fourmi qui donne son titre au recueil et finira écrasée sous la chaussure de la maîtresse de maison alors qu’elle est parvenue à se débarrasser des rats qui avaient élu domicile dans la demeure familiale. Ou de ce chat qui, arrivé dans le royaume des morts, raconte à son ami le chien comment ses propriétaires l’ont oublié dehors un soir d’hiver. Ou encore de ce chien qui fait semblant d’aimer jouer pour amuser ses maîtres et se met à écrire son journal dès qu’ils ont le dos tourné.

Mais, comme chez Lafontaine, les objets et les animaux s’humanisent également pour refléter les travers de la société : les rats refusent à la fourmi d’entrer sur leur territoire, les souris ne permettent pas au chat d’accéder à leur nid dans son « costume » félin et le chien bleu, ayant souffert toute sa vie de sa couleur de poil, meurt heureux car recouvert d’une épaisse couche de neige blanche. Ce qui donnera lieu à l’amer constat que « C’est souvent de même chez les hommes. Ah ! pourquoi ne naissent-ils pas tous blancs ? C’est comme ça ».

L’ironie est parfois cruelle chez la conteuse, mais le ton n’est jamais moralisateur. Hommes, animaux, insectes éprouvent des sensations et des sentiments communs comme la peur, et au sein de ce système où le dominant veut maintenir sa position face au dominé, la communication effraye. Il est donc parfois préférable de ne pas laisser s’exprimer l’autre ou de ne pas entendre ce qu’il veut nous dire. Le savant qui donne la parole à ses chats, souris et rouge-gorge s’en mordra d’ailleurs les doigts et la maîtresse du caniche découvrant que son animal de compagnie a des manières d’homme préférera s’en séparer.

Anne Richter rassemble leurs mots dans un langage à la fois simple et imagé où les références à la nature, belle et précieuse, sont nombreuses et annoncent les préoccupations écologiques actuelles. « N’est-ce pas quand notre esprit est tout entier à la beauté du monde, que notre style est le plus en harmonie avec ce que nous pensons ? », fait-elle dire au chien écrivain, c’est sans doute là la clé de l’écriture de l’autrice dont l’œuvre prolifique sera récompensée par de nombreux prix des années plus tard.

La réédition du recueil chez Samsa est accompagnée d’illustrations de Marguerite Brouhon réalisées à l’époque de la publication du livre et enrichie d’annexes parmi lesquelles figurent notamment un article de Franz Hellens paru dans Le Soir à la sortie du livre.

Laura Delaye