Horizon(s)

Marie COSNAY et Victoire DE CHANGY (autrices), François GODIN (peintre), Matthieu LITT (photographe), Paysages possibles (impossibles), Le Comptoir, 2021, 48 p.

paysages possibles impossiblesDes rues malodorantes et des boutiques qui éclosent à chaque saison, des passerelles prétentieuses et des pavés déchaussés, un fleuve trop boueux et pourtant scintillant, des projets vaguement citoyens, tellement de rafistolages sociaux ; une aspiration au mieux, parfois, un contentement, souvent. Des gens, surtout : faune friquée aux terrasses, déclassée sur les seuils, désœuvrée aux arrêts, colorée un peu partout. Chaleur du dedans, quant-à-soi bravache, simplicité désarmante : Liège, aux mille accents. Cité ardente, mais étouffante, brinquebalante, lassante, attachante. Ville qui s’empêtre et se démène. Irrite, attendrit, ragaillardit. Terre de poésie(s), tout en parallèles et en intersections. Et c’est là qu’il y a vingt ans, s’est naturellement enraciné « Le Comptoir », structure œuvrant avec entrain pour la promotion des petites maisons d’édition et de leurs artistes, et soutenant « les démarches éditoriales sauvages, les fanzines et les livres auto-édités avec un désir d’exigence et le goût du travail bien fait ». Un incontournable pour les entichés de sentiers littéraires moins battus et les curieux en recherche d’affinités électives. « De toutes les rencontres, chacune est la préférée », écrirait à ce propos Victoire de Changy…

Durant le confinement, sans horizon, une nécessité s’impose à la librairie : « Ouvrir les yeux sur d’autres paysages, où qu’ils soient. Ou bien les faire apparaître, dans la rencontre d’univers distants ». Ainsi, sous l’impulsion de Philippe Marczewski, François Godin et Matthieu Litt créeront chacun des paysages visuels, tandis que Marie Cosnay et Victoire de Changy répondront textuellement à ces invitations. Paysages possibles (impossibles) apparaît.

Dans ses acryliques sur bois, Godin épouse les veines de son support pour construire des paysages formels et silencieux. Le premier aux couleurs tendres et le second à l’atmosphère plus crue ont sinué jusqu’à Cosnay qui semble, elle aussi, s’inscrire dans les sinuosités ligneuses. Dans La disparue du marais (« Marga Siochet-Guttierez. Née le 3 juillet 1972 à Negrepelisse. À l’est de Montauban, au sud de Réalville. Le soir, la jeune femme de trente-deux ans est chez elle, avec son mari, ses trois enfants. Le lendemain matin elle n’y est plus »), elle ne trace pas ses phrases de manière rectiligne ; elle les précise, les reprend, les allonge ou les abrège, selon la courbe imposée et le mouvement des pensées.

Litt, quant à lui, propose deux clichés argentiques d’une série nommée « Oasis ». Sombres, humides, froids, percés de lumière. Intrigants et aspirants. De Changy les parcourt dans une courte narration dont elle a le secret, en sensibilité réflexive et multiples féminins. Sur les traces de l’artiste Ariadna Efron, fille de la poétesse russe Marina Tsvetaïeva, le double littéraire de de Changy débarque en Russie et confie que « les paysages sont dedans comme dehors ». Dans Transcrire, elle revient par touches vibrantes sur les rapports complexes unissant Ariadna à sa mère, quelques épisodes de sa vie déchirée, les démarches et les recherches de l’autrice sur place. Le (début ?) d’un curieux voyage dont on se plaît à épingler une phrase que l’on voudrait entendre comme la promesse de paysages de lendemain : « tout sera / bien / et tout le bien / sera / nous nous réjouirons / le pire est derrière nous ».

Samia Hammami