Trajectoire d’un électron libre

Luc DELLISSE, Une vie d’éclairs, Herbe qui tremble, coll. « D’autre part », 2022, 108 p., 14 €, ISBN : 9782491462253

dellisse une vie d eclairsUn professeur de scénario devrait-il mener une vie parfaitement romanesque ? Par ailleurs, le personnage de son livre devrait-il faire preuve d’un pragmatisme soigné et d’une ironie rigoureuse ? Enfin, faudrait-il que le personnage et le professeur se confondent, assujettissant le récit à un état d’oscillation chronique entre faux et usage de faux ? Que le lecteur zélé se laisse prendre à ce jeu troublant et le livre, le personnage, le professeur le conduiront comme un seul homme au gré d’un roman à deux-cent-vingt volte-face.

« La poésie est une électricité », écrivait Jean Cocteau dans le Rappel à l’ordre, pour mieux soutenir ensuite qu’il ne se souciait pas de la forme des lampes. L’électricité de Luc Dellisse est faite d’une ironie à toute épreuve et d’un sens aiguisé de la composition. Quant à ses lampes, elles prennent dans Une vie d’éclairs la forme de courtes nouvelles bien assorties, que l’ensemble du livre — à commencer par le titre — tend à vouloir nous faire lire comme autant d’éléments d’une même expérience de vie.

Le rideau s’entrouvre tour à tour sur une scène d’amour dans un grenier, la décadence d’une ex-future mécène, un paradoxe temporel embarrassant, une expérience personnelle de la ruine, une proposition de meurtre non adoptée, quelques ruptures et de nombreux voyages en train. Ces anecdotes à la première personne, marquées par un sens du détail et de la nuance, font rarement plus de trois pages. C’est peu d’espace pour se livrer, mais l’érotisme n’est-il pas, comme l’a énoncé Roland Barthes, « là où le vêtement baille » ?

Se dévoilant sans se montrer, Luc Dellisse fait la lumière sur quelques circonstances saugrenues d’une vie sans attaches, traversée par le banalement exceptionnel et l’exceptionnellement banal. Par-delà les évènements racontés, certaines politesses rendues à la transcendance ou à la causalité voient injectées dans le récit de furtives doses de surnaturel : le signe — au choix — de la fiction ou du destin.

« Elles ne m’ont pas parlé d’argent, mais nous savions ce que parler d’autre chose veut dire », peut-on lire à propos de deux nièces du narrateur nouvellement héritier. Ainsi la dérision lucide de l’auteur permet-elle de dire beaucoup en peu de mots, et rappelle que la brièveté est affaire de minutie. Une fois les points reliés, les vingt-quatre textes aux chutes douces et à l’humour subtil ne s’en lisent pas moins comme un roman, ou autant de tableaux d’une même scène disparate et jubilatoire.

Les quelques courts-circuits que propose Une vie d’éclairs confirment la virtuosité — véritable, puisqu’elle ne se remarque pas — d’un auteur que l’on a plaisir à retrouver sous cette forme de confession minimaliste, dont la morale est probablement une certaine idée du bonheur. Luc Dellisse prétend nous y parler de lui-même ; si tel n’est pas vraiment le cas, nous saurons au moins ce que parler d’autre chose veut dire.

Antoine Labye

Agenda

  • Luc Dellisse sera présent au Salon des littératures singulières le samedi 19 mars de 17h à 18h pour une rencontre autour du thème de la littérature voyageuse. Animé par Anne-Lise Remacle, cet entretien réunira Luc Dellisse (Le cercle des îles, Le Cormier et Une vie d’éclairs, L’herbe qui tremble), Philippe Brandes (En ce qui concerne Alexandre, Accro éditions) et Joël Schuermans (Vers Sarajevo, Partis pour éditions)

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