François Emmanuel, à tu et à nous…

Un coup de cœur du Carnet

Christophe MEURÉE (dir.), Le monde de François Emmanuel, A.M.L., coll. « Archives du futur », 2022, 492 p., 28 €, ISBN : 978-2-87168-089-5

meuree le monde de francois emmanuelSi on ne présente plus François Emmanuel, on peut sans fin le redécouvrir, à l’exemple de Jean-Luc Outers qui confie s’emparer régulièrement, au hasard, de l’un de ses romans – et l’étagère qu’ils peuvent occuper dans une bibliothèque est longue – pour y picorer une page, un bref extrait, une ligne. Le volume Le monde de François Emmanuel permettra, à celles et ceux qui ont trop longtemps ajourné le bonheur de faire sa rencontre, de l’approcher cette fois en exhaustivité comme en intimité.

« Un monde », quel écrivain n’en est pas un ? Sa labyrinthique biographie, comprenant romans, nouvelles, essais, théâtre, propos recueillis ou encore poèmes, atteste d’une quête littéraire menée ostinato depuis plus de quatre décennies. Des titres l’émaillent, qui résonnent comme autant d’incontournables à quiconque prétend s’immerger dans les Lettres belges : La nuit d’obsidienne, La question humaine, 33 chambres d’amour

Le volume, fort de plus de 400 pages, a beau être présenté en quatrième de couverture comme « le bilan » d’une œuvre, il ne s’adresse pas, loin s’en faut, au premier rang du fidèle lectorat. Pour le composer, Christophe Meurée confie en introduction s’être inscrit dans le sillage du « modèle princeps » que représente Le monde de Paul Willems, paru en 1992. François Emmanuel ne concevait d’ailleurs pas autre chose qu’un volume « libre et organique à la fois », et le résultat est là.

Le connaisseur aussi bien que le profane y entrent de plain pied, accueillis sur le seuil par un écrivain au regard doux, à la mine sereine, ne posant guère à l’Homme de lettres, mais plutôt posé, les bras croisés, en homme tout court. La dynamique laisse alterner sa voix, au fil d’un entretien où le tutoiement s’impose naturellement, avec des allures d’amitié blanchotienne. Le lecteur ne s’y sent jamais « en tiers », il est d’emblée inclus à la faveur du sentiment de connivence qui s’impose. François Emmanuel partage ses hantises, ses vertiges, ses états de grâce, les intermittences de la mémoire et du cœur. Le voici qui ouvre l’album de famille et le feuillette au fil des joies ou des tragédies. Son sans-façon, empreint de douceur et de finesse, désarme.

Le dialogue est ponctué de regards portés par de nombreux complices. Christophe Meurée perce d’à-jours subtils « la matière mur » d’un écrivain chez qui les thèmes du cloisonnement, du passage des frontières internes comme externes, est omniprésent. Son premier roman, Retour à Satyah, ne paraissait-il pas en 1989 ? Il n’y a pas de hasard… François Emmanuel est tour à tour situé par rapport à des artistes qui ont irrigué son travail (Egon Schiele pour Véronique Jago-Antoine), des mythes fondateurs qui l’ont nourri (celui de Questzalcoatl excellemment traité par François-Xavier Lavenne). Il est suivi à la trace (par un Xavier Hanotte que fascine depuis toujours Le tueur mélancolique), abordé par le versant psychopathologique (par Philippe Lekeuche), versifié sans travestissement (par Laurent Demoulin)… Des inédits, des fins alternatives, des esquisses de fictions, complètent cette mouvante mosaïque. Jusqu’à ces fragments de correspondance, datés du 8 juin 1996, où Henry Bauchau, loin de vouloir jouer les conseilleurs, se permet d’émettre un simple principe à l’auteur du Cercle des murmures, cadet qu’il estime énormément : « Dans le domaine de l’écriture, il faut. » Ne jamais avoir dérogé à ce sublime impératif aura conféré au modeste, au discret, à l’attachant François Emmanuel, toute son envergure.

Frédéric Saenen

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