Un coup de cœur du Carnet
Renaud NATTIEZ, Milou. Humain, trop humain, Impressions nouvelles, coll. « La fabrique des héros », 2022, 139 p., 13 € / ePub : 7,99 €, ISBN : 978-2-87449-940-1
En tintinophile patenté, Renaud Nattiez poursuit ses coups de sonde dans l’univers hergéen. Après avoir opéré un astucieux rapprochement entre le bédéaste bruxellois et le chansonnier libertaire Brassens, voici qu’il consacre un essai au poil à un véritable monstre sacré de la « Comédie humaine » sortie du cerveau de Georges Remi : Milou.
Présenté comme un « sympathique cabot », son nom apparaît en janvier 1929 dans l’incipit de Tintin au Pays des Soviets et sa silhouette, dès la deuxième case. En quatrième case, l’air dépité, il prononce sa première phrase : « J’ai entendu dire qu’il y avait des puces là-bas ». Un on-dit dénotant d’emblée la tonalité qui va s’imposer au fil des albums – du moins jusque dans les années de guerre, période où Milou perd de son importance narrative et passe au second plan, relayé par le tonitruant Haddock.
Car Milou est bien plus qu’un quadrupède qui tient fidèlement compagnie à son maître et ami, quand il ne le tire d’un mauvais pas. Milou, c’est la voix du bon sens rassis-debout-couché, un zeste râleur, un rien méfiant, bravache ici, timoré là, toujours gourmand et soucieux de son confort. Avec Tintin, il est complice, prévenant ; il l’encourage à rendre la justice ou à être vigilant (la scène dans Tintin au Congo, où il renseigne le reporter devenu instituteur d’un jour sur les tricheurs du fond de la classe)…
Le portrait brossé, toiletté, pomponné que Renaud Nattiez campe de Milou ne contribue pas seulement à faire la part entre son animalité et son humanité; il l’intègre à part entière dans la galerie des héros de la bande dessinée mondiale. Dire qu’il serait un personnage secondaire reviendrait à tenter de discerner lequel des Dupondt est le plus important des deux. « Tintin-et-Milou » forment un binôme dont l’archétype se rencontre depuis des siècles en littérature, à commencer par Don Quichotte et Sancho Pança, mais aussi, plus proches encore de nos contrées mentales, Thyl Ulenspiegel et Lamme Goedzak. À la différence du chevalier de la Mancha, Tintin n’est pas fou (si ce n’est à de rares moments d’égarements), mais à l’instar de l’Espiègle, il est animé par des valeurs nobles et un idéal, qui seraient moins perceptibles sans le contre-point plus terre-à-terre que représente Milou.
Nattiez décrypte dès lors son langage, révélateur, comme pour chaque créature de Hergé ; son comportement avec les autres personnages, catastrophique avec la Castafiore, par exemple ; et les rôles multiples qu’il endosse en tant qu’indispensable ressort narratif. Les quatre fonctions principales – salvatrice, théâtrale, ludique et messagère – assignées à Milou sont illustrées avec une précision qui pallie le manque d’illustrations. Finalement, l’absence d’images inhérente à chaque publication sur Hergé n’est pas longtemps déplorée ici. Elle n’en cède que mieux le terrain à une véritable réflexion, très subtilement exprimée et basée sur une culture encyclopédique du sujet. Rien de tel pour nous inciter à replonger dans les vingt-quatre aventures. Et pour nous faire découvrir que, sous la toison immaculée du zinneke, se cache un épicurien individualiste dont il nous reste beaucoup à apprendre…
Frédéric Saenen