Collectif (Dorian ASTOR, Geneviève DAMAS, Jean-Philippe DOMECQ, Lola GRUBER, Christine GUINARD, Véronique JACOB, Guillaume POIX, Françoise SPIESS, Héléna VILLOVITCH, Jean-Luc VINCENT, Antia WEBER), La chambre d’écho. Impromptu autour du lien qu’entretiennent littérature et crise, Introduction de Nicolas Mathieu, Éditions du Croquant, 2021, 12 €, ISBN : 9782365123402
En l’année 2020, que chacun retiendra certainement comme l’année du covid-19 et des confinements successifs, une poignée d’autrices et d’auteurs se sont réunis, par Zoom, pour débattre sur le lien entre « crise » et « littérature », dans le cadre du prix du deuxième roman Alain Spiess. Un livre au titre audacieux, puisqu’il matérialise à la fois les conditions techniques de ce temps d’échanges et les résonances entre les divers participants, en a émergé : La chambre d’écho. Composé sous l’impulsion de Françoise Spiess (autrice, plasticienne et fondatrice du prix Alain Spiess) et assorti d’une introduction de Nicolas Mathieu (écrivain), ce livre se veut la trace de ce moment d’interrogation partagée, « à travers réflexions, poésies, fictions ».
« À chaque fois qu[e la littérature] cherche le plus grand nombre, le slogan, l’efficacité des mots d’ordre ou l’édification de modèles, elle amoindrit sa puissance. Il me semble que la littérature peut donc être le greffier de la crise, en faire l’inventaire aussi bien que la radiographie, mais qu’elle doit craindre de se perdre dès lors qu’elle vise la résolution de crise. », confie Nicolas Mathieu (prix Goncourt et prix Alain Spiess 2018 pour Leurs enfants après eux) dans son introduction. Il insiste sur l’inévitable solitude de chacun derrière son écran, celle-ci en l’occurrence transcendée par l’appréhension singulière et collective de ce moment de crise par les autrices et auteurs invités.
Ainsi, depuis la possible fonction de la littérature de dire « ce qu’il ne faut pas dire » (Jean-Philippe Domecq) au sentiment personnel d’une « réconciliation » entre « l’écriture intérieure qui épuisait l’histoire et la vie extérieure qui relancera le cycle » (Dorian Astor), depuis la surprise et le bonheur de découvrir les nouvelles d’un concours sur le thème du confinement à Trouville (Anita Weber) à la mise en scène drôle de l’injonction à lire d’un certain Président (Jean-Luc Vincent), les manières de vivre et de penser ce temps de crise s’offrent dans leur différence sensible et témoignent de la richesse, de la diversité des tempéraments humains.
De la fiction « Aujourd’hui Madame » (Lola Gruber) à l’extrait du spectacle « Un sacre » (Guillaume Poix) ou à la fable « Et si on mangeait les Legrand » (Héléna Villovitch), les chemins empruntés sont en effet divers et ont en commun, par leurs mots et le geste qui les sous-tend, l’exploration artistique ou philosophique de ce que donne à éprouver ce temps de crise, que Françoise Spiess condense en la formule « é-cri-se ».
Côté belge, nous nous réjouissons de retrouver la plume de l’autrice, comédienne et metteuse en scène Geneviève Damas et de la poétesse Christine Guinard, l’une délivrant un sensible journal du confinement intitulé « Les endroits de ma vie », l’autre un poème dont le titre est en soi éminemment parlant : « Nous avons fait silence aussi ».
Geneviève Damas évoque dans ce journal le grand chambardement dans la vie familiale et la nécessaire réorganisation du quotidien qu’il implique où les gestes de la vie en commun se font, se défont, se réapprennent selon un tissage précaire – motif que l’écrivaine a notamment pu décliner dans certains de ses textes. Christine Guinard, en frémissement d’interrogation, pose des mots sur l’écoulement du temps, de la lumière et du soir, dépose un silence qui ouvre à la fois un moment de retrait de la ville et un mouvement d’étendue intérieure.
Qu’ils soient romanciers, poètes, comédiens, dramaturges, philosophes, plasticiens, metteurs en scènes ou présidents d’institutions culturelles, les autrices et auteurs réunis dans ce livre donnent à réfléchir, avec eux, sur la puissance créatrice ou silencieuse d’une crise qui nous réunit.
Charline Lambert