Françoise LISON-LEROY (autrice) et Françoise ROGIER (illustratrice), Madeleine, Tétras Lyre, coll. « Lettrimage », 2022, 30 p., 16 €, ISBN : 9782930685625
Madeleine a dix ans, d’abord bientôt, ensuite depuis peu. Ses pieds s’agitent nus ou bottés de rouge, dans la nature qui l’éclabousse et les flaques qui la réjouissent. Ses yeux se plissent de contentement quand ils ne se perdent pas dans l’observation. Ses paumes, elles, s’ouvrent grand, tellement grand vers le ciel, mais se referment aussi pour ne pas qu’un ballon s’échappe. Son corps, agile, se niche sur la branche d’un pommier, s’accroche à un trapèze, se fige devant un cours d’eau. Et ses cheveux, noirs, s’affolent aux quatre vents, au gré de ses cabrioles, puis se reposent sur ses épaules, lors de moments suspendus. Madeleine paraît joyeuse et curieuse, entièrement dans l’instant. Autour d’elle, des feuilles colorées, des jouets abandonnés, des oiseaux s’égaillant, des nuages pastel, des félins s’esquivant, une foule en mouvement. C’est dans cet univers graphique, à la composition pochée et chatoyante, que connaissance visuelle est faite avec Madeleine. Les délicieuses illustrations de Françoise Rogier, à elles seules, racontent déjà tellement…
S’y ajoutent les mots délicats de Françoise Lison-Leroy, qui posent un voile de tendresse et de douce nostalgie sur Madeleine, la petite-fille de la narratrice évoquée par touches et échos, captée en photographies scripturales. La fascination de la grand-mère pour cet être gorgé de vie se traduit d’une façon renversante : « La beauté m’entre par les yeux ». L’attachement de celle qui déclare « nous ferons mieux que nous aimer » s’encre avec insistance au détour de chaque phrase. Car le temps ne se déroule pas identiquement pour elles : l’une, au printemps, s’amuse d’un rien, envisage les possibles, avance avec entrain ; l’autre, à l’automne, observe et désire retenir, (s’)interroge, admire avec recul : « Tu te retournes à peine, juste pour voir si je t’attrape. Me voilà sur la ligne de départ, tandis que tu files vers un point qui mobilise tes ailes. Il me faudrait un moteur, une assistance électrique, pour être à la hauteur de ton vol ».
Et pourtant, les deux avancent de conserve. Autour de joies partagées, de souvenirs narrés, de déconvenues confiées, leur complicité se scelle à chaque instant passé en présence, au creux de sentiments qui s’esquissent douloureux, puis s’esquivent dans les silences et les rires. « Avec toi, ma vie résonne plus clair. C’est l’enfance qui me rejoint à pas de louve. Je la cueille dans tes cils et tes ondées. Mon parcours navigue en meute et en pagaille, d’un siècle à l’autre ». Quelle plus intense déclaration d’amour pouvait être adressée à Madeleine… ?
Samia Hammami
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