Ces petits riens

Étienne VERHASSELT, Après l’éternité. Postcombustion, Le Tripode, 2022, 160 p., 18 €, ISBN : 9782370553232

verhasselt après l'éternitéLe moi d’après, le monde d’après, la vie d’après, dans ce troisième recueil de textes d’Étienne Verhasselt (avançons « textes » plutôt que « nouvelles », car, cette fois encore, l’écrivain se donne toutes les libertés de forme – du poème de cinq vers à la narration de cinq pages, grand maximum), tout semble basculer dans l’après – même l’éternité, si on en croit le titre. Et cela commence dès la première nouvelle, et cela durera jusqu’à la dernière (« Vêpres »), où des nuages envahissent le paysage, l’imitent et le remplacent. Le calme serait enfin atteint. Alors qu’avant, jamais la sérénité n’était trouvée – tout n’était que trouble et abîme. On espérait le rien, on ne l’atteignait pas. Ni la paix. Car, paradoxalement, toujours les mots qui disent et écrivent empêchent de n’exister pas. Écrire rien, c’est écrire encore. Écrire est mélancolique. C’est construire « une chapelle ruinée où adorer la souveraine chute ».

Donc. Dès la première nouvelle d’Après l’éternité, tout est là. La combustion (le sous-titre du recueil écrit en tout petit est Postcombustion) comme méthode, comme modus operandi est mise en place – et l’humour ravageur et poétique itou. Nous y est présenté un peintre, une version plus extrême de Mark Rothko, Mirko Ruthku, dont « nous ne savons presque rien » et dont il ne reste de l’œuvre qu’un « lambeau monochrome kaki d’environ dix-sept centimètres carrés » et des milliers de cadres vides. Car il détruisait tout ce qu’il peignait (avec pinces chirurgicales, uranium, nunchakus, scies en tout genre…) et conservait les cadres, qui réunis, étaient « une nécropole qui disait la mort de l’Art ». Si vous avez un cadre dépouillé chez vous, peut-être que…

Après ce texte, dans ceux qui suivent, l’imagination débridée de l’écrivain continue son jeu de massacre nourri des peurs et des questions de notre époque et de toujours : la guerre, l’écologie, le sexisme, l’amour, l’individualisme (le temps est devenu un attribut personnel), la solitude (un vieil homme appelle tous les soirs un chat qu’il n’a pas, espérant qu’il existe quelque part, ce compagnon félin). La condition humaine (l’âme, le corps, la mort, le temps), et divine. Et bien entendu : le langage. Ainsi un hémiplégique congénital qui donna la moitié de son corps à la science et devenu écrivain a publié : Raccourcis et aussi Les bras m’entombent. Il n’y a pas que les jeux de mots, la ponctuation et le rythme des phrases de certains textes sont atteints de mélancolie-même. Nous n’allons pas vous gâcher le plaisir de la découverte en spoliant les textes et leur chute. Nous ne résistons pourtant pas de vous en révéler (recopier) un court, dans l’espoir que vous l’oubliiez et qu’il vous donne l’envie d’engouffrer tout le recueil, et les deux premiers avec (Les pas perdus, L’éternité, brève, parus également au Tripode) :

Après la « Journée sans voiture », on eut l’idée d’une « Journée sans personne ». Ce jour-là, il sortit de chez lui : l’occasion qui sait, d’être enfin quelqu’un.

Michel Zumkir