Contre toute attente

Un coup de cœur du Carnet

Étienne VERHASSELT, Les pas perdus, Tripode, 2018, 15€, 140 p., ISBN : 9782370551634

verhasselt les pas perdusAprès Emmanuel Régniez et son Notre château aussi raffiné qu’effarant, les éditions du Tripode accueillent à nouveau un auteur résidant en nos terres, pour notre plus grand plaisir. C’est avec un recueil d’une quarantaine de courtes et vives nouvelles qu’Étienne Verhasselt – licencié en psychologie clinique et travaillant dans une communauté thérapeutique – fait son entrée dans leur catalogue singulier. À noter également que ce sont Les Pas perdus qui ont été choisis pour leur opération annuelle Les 400 coups, qui voit vingt illustrateurs et sérigraphes – dont Mehdi Beneitez qui signe la couverture, ou Anna Boulanger, auteure du Haret québécois ou de L’absence – s’emparer de la matière du livre pour en extraire des estampes de leur cru. 

On comprend assez bien comment Les pas perdus ont pu générer des images si diversifiées.

Tapie sous les objets les plus triviaux, entre  les pattes des compagnons les plus fidèles ou au cœur de « La vie de quartier » d’abord si familière, la subversion des nouvelles de Verhasselt n’en est que plus sournoise…à moins qu’il ne s’agisse de vues de l’esprit de la part de ses narrateurs, à deux doigts de basculer ? Constatez par vous-mêmes : un plafond sauvage tout juste amadoué a l’outrecuidance de créer une chape au-dessus des têtes de ses propriétaires, provoquant l’ire de leur entourage…Et « Le vieux téléviseur », qui vous garantit qu’après des années à observer cette famille plan-plan, il n’aura pas des envies de mutinerie ? Vous croyez accueillir un canidé complice, mais sa vraie nature pourrait se révéler plus décevante. Et que diable veut donc « La mite » ?

Entre la fantaisie mélancolico-songeuse du Vian de L’Écume des jours et l’absurde existentiel du Wakefield de Nathanaël Hawthorne, Étienne Verhasselt oscille avec une ironie rafraîchissante, se jouant de nos perceptions étriquées du réel et du temps,  mettant au jour nos angoisses inavouables. L’auteur bruxellois réinjecte du shebam pop whizz ! ou du poil urticant dans le train-train, comme avant lui Yak Rivais ou Pierre Gripari, mais avec une pente plus fatale. Fait de toute question taraudante de ses héros brindezingues – hommes-bourdons ou parents putatifs d’écrous – ou carrément névrotiques un possible chausse-trappe, un appel d’air irréversible, le pas de côté salutaire. Celui qui mène à l’harmonie durement gagnée… ou à la défenestration.

Attendez-vous désormais à entendre résonner les rires déments des insectes, les pas de garnements invisibles ou d’énigmatiques voisins des pages alentours et à vous joindre à cette drôle de sarabande. Au risque d’y perdre le cœur  ou l’esprit!

Anne-Lise Remacle