La rafle du 12 juin 1943 au pensionnat Gatti de Gamond

Un coup de cœur du Carnet

Frédéric DAMBREVILLE, Les disparus de Gatti de Gamond, Préface de Daniel Weyssow, CFC Éditions, 2022, 790 p., 28 €, ISBN : 978-2-87572-075-7

dambreville les disparus de gatti de gamondC’est sans doute son œil de peintre et de graveur qui, détectant une inscription sur la cheminée du salon, a le premier pressenti la lourde histoire du nouveau lieu qu’il occupe rue Fauchille à Bruxelles. À partir d’un détail visuel qui l’interpelle, Frédéric Dambreville reconstitue pas à pas, durant dix années, la tragédie qui a frappé cet immeuble qui abrita l’Institut Gatti de Gamond. Tirant un fil d’Ariane mémoriel, il délivre au fil d’enquêtes, de témoignages, d’études d’archives le récit de la rafle d’enfants juifs et de leurs logeurs qui eut lieu le 12 juin 1943. Du plus ténu, du microscopique, d’une trace muette, l’auteur dégage la tragédie d’une scène macroscopique, lève le voile sur un pan de la résistance en Belgique et interroge un épisode bouleversant de la Shoah.

Illustré de documents, de photos, d’archives, Les disparus de Gatti de Gamond est construit selon une multiplicité de perspectives : travail d’historien, enquête opiniâtre, devoir éthique, arme de la fiction, voyage mémoriel afin de réinscrire dans le tissu de la vie des enfants cachés par des résistants à l’intérieur du pensionnat Gatti de Gamond, déportés à la caserne Dossin de Malines, puis assassinés à Auschwitz, afin de les sortir de la sécheresse des registres de l’état civil ou du néant. Cette entreprise d’exhumation d’existences happées par la Solution finale se tient dans un lieu entre réalité à reconstituer et fiction accédant à l’abîme. Comme l’écrit Daniel Weyssow dans sa remarquable préface, par ces allers-retours entre passé et présent, Frédéric Dambreville entend « gagner le domaine des morts pour qu’ils reviennent sous nos yeux ».

Somme monumentale sur la « guerre aux enfants », sur l’extermination des enfants juifs déclarée par les nazis, l’ouvrage déroule les circonstances de la rafle, nomme les victimes, retrace des bribes de leurs existences, identifie les acteurs, les délateurs, les bourreaux, rend hommage au couple de résistants qui dirigeait le pensionnat laïque Gatti de Gamond. Faisant fond sur les témoignages laissés par les rares rescapés de la rafle, sur un monumental travail d’archives, il court dans le vide laissé par un écheveau de questions, il sort les victimes de l’anonymat et de l’ombre dans lesquels elles étaient tombées, les arrache à l’anéantissement mémoriel qui double leur assassinat. Comment un « lieu traumatisé » qui, bruissant de présences invisibles, taisait tout de sa sombre histoire permet-il de remonter le temps, de rassembler les pièces du puzzle génocidaire, de suivre les trajectoires des enfants, de les réinscrire dans un tissu familial ? Sous nos yeux, le passé prend corps ; des dossiers administratifs, des noms, des réalités cachées sous les noms reviennent demander justice, obtiennent réparation sous la plume de Frédéric Dambreville qui ne cache rien de la teneur nécessaire et impossible de la tâche à laquelle il s’adonne. Une entreprise qui touche à la question de l’inhumain dans l’humain, aux racines du génocide, à son inscription dans la culture européenne. Pariant pour la survivance de ce qui, dans la vision nazie, ne devait pas survivre dans la mémoire collective, l’ouvrage tend une main à ceux qui ont été gazés, soufflés du Livre de la vie, et par là, il tend une main aux descendants des rescapés, aux générations présentes et futures.  

Mais sur ce terrain dévasté où tout a été supprimé, sur ce champ de guerre ou de décombres illimités, comblé de crimes impunis, non reconnus, sur ce terrain « nettoyé », arasé, voire nié, transformé en statistiques approximatives, peut-on raisonnablement prétendre à autre chose qu’à de la « fiction » ?  

Là où l’Histoire ne nous livre que des faits lacunaires, des indices flous, la fiction prend le relais, redonne des contours à des destins brisés, rapièce la réalité manquante par des hypothèses, convoque le passé en pointillé sur la scène du présent.

Que veut-on retrouver ? C’est la question de fond. Que cherche-t-on exactement ?
L’idée seule compte qui est de sauver des noms de l’oubli, d’essayer de les replacer dans le cadre où ils figuraient, avant qu’on ne les enlève du refuge qu’ils avaient trouvé, de les rétablir dans leur place ou le récit de leur filiation qui a été interrompu, cassé, brisé, brûlé, comme l’arbre dont on les a arrachés. 

Véronique Bergen

Agenda

Pour la sortie du livre de Frédéric Dambreville, la maison CFC propose une exposition où sont présentés des documents d’archiveset une sélection de gravures et de peintures de l’auteur.

Les disparus de Gatti de Gamond
Exposition de Frédéric Dambreville

du 25/03/2022 au 30/04/2022
À la Maison CFC
Place des Martyrs, 14
1000 Bruxelles
Entrée libre

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