Un seul arbre manque et tout est dépeuplé

Caroline LAMARCHE (autrice) et Aurélia DESCHAMPS (illustratrice), Mille arbres, CotCotCot, coll. « Combats », 2022, 80 p., 13,50 €, ISBN : 9782930941264

lamarche deschamps mille arbresPrésenter Caroline Lamarche serait vain. Ne pas souligner son étonnant talent, inexcusable. L’étoile Lamarche brille au sein d’une constellation qui n’a de cesse de s’étendre et de renforcer à chaque mouvement la cohérence de son noyau. Dans le ciel des mots, sa lumière n’aveugle pas ; elle éclaire ou filtre, souligne ou enrobe. Elle se suit, en prose ou poésie, récits denses ou narrations longues, solo ou collaborations, imaginaires d’enfants ou univers pour adultes. L’oralité tient également une place lumineuse dans la sphère littéraire lamarchienne : ses textes ont de nombreuses fois été mis en scène et elle a écrit plusieurs pièces radiophoniques. C’est d’ailleurs l’une de ces dernières qui se trouve à la base de ce roman pour jeunes adolescents, inaugurant ainsi la nouvelle proposition des réjouissantes éditions CotCotCot : « Combats, une collection de romans engagés dont la devise est “combattre maintenant pour construire demain” ».

Diane, aux « mollets de sportive, visage lisse et rose », possède l’étoffe et la liberté d’une amazone. Digne fille de son père, elle est farouchement engagée dans la défense de sa région, menacée d’éventration par une autoroute. Ce projet insensé, porté par un ambitieux technicien et soutenu par les autorités, révolte les gens du coin qui se mobilisent. Peu importe que le trafic se fluidifie, que les supermarchés champignonnent, que les immeubles se remplissent de citadins en quête de vert ; ce qu’ils voient, eux, c’est l’immense gâchis écologique : « [c]e qu’il ne dit pas, donc, l’ingénieur Prévert, c’est que cette future autoroute va couper en deux le paysage et que notre belle vallée n’existera plus. Enfin, si, elle existera encore un peu pour ceux qui rouleront sur le futur viaduc, en haut des grands piliers qu’on va planter au fond, juste au bord de la rivière ». Dans cette contrée où les générations se sont succédé dans le respect de la nature environnante, les cœurs s’échauffent – et se découragent parfois – en vain, les oreilles des politiques demeurant obstinément bouchées. François, le petit-fils un brin rêveur de Mariette, une vieille souche de la communauté locale, va alors être conscientisé et s’associer au combat de Diane. Chemin faisant, il découvrira ses propres racines familiales et s’attachera plus intimement à l’« arbre-bateau », un vieux tilleul de 250 ans, « […] immense, majestueux, un peu décati par endroits, avec des ramifications intéressantes [… qui] se situe au point le plus haut de la région, comme un navire prêt à se lancer sur la mer du paysage ». Et sur lequel son grand-père est mort.

L’objet-livre qui contient Mille arbres est tissé d’une reliure « cousue brut » de fil rouge, choix sobre et naturel renforçant subtilement le propos du roman. Les illustrations d’Aurélia Deschamps s’inscrivent pleinement dans cette dynamique : les couleurs sont élémentaires (essentiellement un rouge orangé et des bleu gris), les dessins respirent, la poésie s’incarne frontalement. Toute l’essence de son art est recelée dans la magnifique couverture de l’ouvrage. Et, akène sur le gâteau, la publication est agrémentée d’une postface, claire et pertinente, sur les espaces de lutte (essentiels) que représentent les ZAD (« Zones à défendre »). Un ouvrage de sensibilisation complet, qui rappelle que tout ne peut pas se réparer, ni se recoudre…

Samia Hammami

Un extrait de Mille arbres proposé par Cotcotcot

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