Une journée, une vie

Daniel CHARNEUX, À bas bruit, ill. de l’auteur, Bleu d’encre, 2022, 81 p., 12 €, ISBN : 378-2-930725-46-8

charneux a bas bruitÉcrire, pour moi, c’est chercher l’écart et la trace, confie Daniel Charneux, né à Charleroi en 1955. L’écart : ce qui sort des sentiers battus. La trace : ce qui témoigne d’un passage. Principalement romancier et nouvelliste, il a publié entre 2001 et 2004 deux romans (Une semaine de vacance et Recyclages) ainsi qu’un recueil de nouvelles (Vingt-quatre préludes) à propos desquels on a pu parler de « légèreté du désespoir ». Norma, roman qui traite de la vie de Norma Jean Baker/Marilyn Monroe (éditions Luce Wilquin, 2006) reçoit en 2007 le Prix Charles Plisnier. C’est dans un cri que nous entrons au monde. C’est dans un cri, parfois, que nous en sortons. Entre les deux, cette souffrance que l’on appelle la vie, a-t-il écrit dans Nuage et eau, son roman le plus abouti, inspiré lui aussi par les liens entre deux personnages historiques, cette fois du bouddhisme japonais : le moine Ryôkan et la moniale Teishin. Ce roman fut finaliste du prix Victor Rossel en 2008. En 2009, Maman Jeanne (éditions Luce Wilquin), qui traite de la condition féminine, fut  sélectionné pour le prix des Lycéens, manqua de remporter le Prix Rossel des Jeunes et est réédité chez Espace Nord en 2016 avec Nuage et eau, accompagné d’une postface de Françoise Chatelain. D’autres romans paraîtront tandis que Daniel Charneux contribue à un essai collectif sur un écrivain prolétarien, collaborateur durant l’Occupation, Pierre Hubermont.

« Une bonne part des écrits de Daniel Charneux est consacrée à des évocations biographiques aussi diverses que celles de la pathétique Marylin Monroe, de l’humaniste Thomas More ou de Jane Grey, la très éphémère reine d’Angleterre. Cette fois, c’est vers le sport que se porte son éclectisme. Et en particulier vers la course à pied qui est, bien entendu, le « roi des sports » ainsi que tout sportif le professe au crédit de sa propre discipline. Avec À propos de Pre, c’est une légende de l’athlétisme américain, le champion olympique Steve Prefontaine, que Charneux ressuscite en enfilant les baskets de son narrateur Pete Miller présenté comme l’ami du coureur depuis l’enfance. Et qui partageait avec lui une même passion pour ce sport exigeant quoiqu’avec moins de réussite » écrivait Ghislain Cotton à propos de ce roman paru en 2020 chez MEO. On mesure donc à quel point la thématique narrative de Daniel Charneux interroge des destins, saisis dans leurs rapports avec l’impossible, avec l’histoire et le temps, le passage, la réalité et l’imaginaire.

Charneux est aussi l’auteur de recueils de poèmes : il avait jusqu’ici publié, dans la ligne du poète japonais Issa Kobayashi (1763-1828) qu’il admire, deux volumes consacrés au haïku, Pruine du temps (illustrations de Pierre Renard ; calligraphies de Pascal Goossens) et Si longues secondes (illustrations de Salvatore Gucciardo). On voit donc se dessiner dans l’écriture de Daniel Charneux une ligne directrice explorant les deux faces d’un même relief, les deux lignes d’une mélodie, les creux et les pleins d’un destin, le yin et le yang, forces à la fois opposées, interconnectées et complémentaires  dont les rapports donnent naissance au mouvement de la vie.

S’exprimant dans un style classique, Daniel Charneux, dans À bas bruit, livre une série de réflexions douces-amères sur le parcours d’une vie, explorant la mémoire, l’enfance, le temps, les émois, les saisons, la trame des jours enfuis, les possibles et le destin d’un être qui jette un regard rétrospectif sur son parcours. Pas de dramatisation, chaque poème est une voix comme feutrée, au ton lucide et parfois mélancolique, dans une forme de lâcher-prise non pourtant dénué d’empathie et de ressenti : À bas bruit déroule ses six mouvements et variations sans heurt, mezzo voce pour ainsi dire. Dans une langue narrative sans fioritures, nette comme une ligne claire. Il s’en dégage une leçon philosophique apaisante : accueillir le présent, remercier la vie pour ce qui a été vécu, ne pas regretter ce qui ne l’a pas été, accepter que toute chose s’en aille sur la pointe des pieds. Car tout est métamorphose et transhumance :

Quand il cherchait de l’or
il récoltait le vent 

Quand il demandait son chemin
toujours il s’égarait
se retrouvait plus loin
dans l’œil de l’arc-en-ciel 

Quand il revenait les mains vides
lui restait juste un peu des sept couleurs
sur la peau
dans le sang
au fond des yeux 

La première pluie le nettoyait
lui rendait sa blancheur
c’était le signal
il fallait repartir

C’est à une pensée du juste milieu que nous invite Daniel Charneux, qui a pratiqué la méditation zen, dans ce recueil de poèmes testamentaires qui obéit à ce koan : Ce qui te manque, cherche-le dans ce que tu as.

Éric Brogniet

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