Patrick DEVAUX et Martine ROUHART, Mouvances de plumes, Ill. de Catherine Berael, Préface de Anne-Marielle Wilwerth, Coudrier, 2022, 52 p., 16 €, ISBN 978-239052-032-0
Dans l’ « avant-lire » qui ouvre le recueil paru aux éditions Le Coudrier, Anne-Marielle Wilwerth cite opportunément Chateaubriand : Les poètes sont des oiseaux : tout bruit les fait chanter. Les (trop rares) illustrations de Catherine Berael nous donnent à voir de ces oiseaux quelques crayonnés, de rouge et de noir, composés dans ces attitudes qui sont familières et que certains poèmes évoquent.
Patrick Devaux et Martine Rouhart déposent dans ce volume allègre et heureux, feuille à feuille, des poèmes composés à quatre mains. Quatre mains enlacées, complices, solidaires de l’émotion poétiques : elles ne sont pas identifiées. Au lecteur de tenter le jeu d’attribuer à l’une ou à l’autre telle ou telle fulgurance, telle ou telle image verbale, telle ou telle évocation. Il lui faudra beaucoup de familiarité avec l’œuvre de l’un, Patrick Devaux et de l’autre, Martine Rouhart, pour redistribuer les cartes et signer d’un seul nom l’une ou l’autre de ces mouvances. On aimerait savoir comment les affinités complices ont orchestré les papiers / aux regards / d’encre.
Les oiseaux surgissent au gré des mots, sautillant sur la page blanche. La mise en page donne parfois à penser qu’ils sont ces empreintes fines du cheminement dans la neige des plus légers d’entre eux, même s’ils ne sont pas désignés hormis la cane et le pinson.
Ils chantent aussi dans la complicité amicale, si proche de la joie /chantée par l’oiseau / dans le vent. Est-ce ce vent qui avec / un partage / d’ailes (…) sublime/ l’envol. Dans la poésie qu’inspirent les oiseaux, il y a les regards de cane blanche, les sautillements, une légèreté gaie qui éclaire l’attention à l’autre, allège le silence et l’amitié / pour faire lever / une gaîté / de nos gouffres / les plus sombres. Rires, sourires, aménité, tout semble donner prise à la lumière et la liberté. Prévert n’est pas loin de ces deux poètes qui s’amusent à un pastiche qu’il n’aurait pas désavoué : pour / peindre/ le portrait/ D’une poète-oiseau/ effacer/ un à un/ tous les barreaux du silence.
L’écriture conjointe trouve son rythme au fil des pages : Va-et-vient/de nos plumes/qui se frôlent/à l’écoute/croisée/ des mots et du silence. Le lecteur devine à présent les signaux que dévoile la typographie, offrant un indice distinguant la plume gauche de la droite. Un italique « papyrus » à gauche, un Garamond lettré à droite ? Peu importe : Chacun / dans son nid / a inventé un chant / et maintenant / ils se disent merci / comme s’ils s’étaient / donné quelque chose. Ce « quelque chose » dont le lecteur est témoin, serait-ce cette liberté que l’encre délie et qui déroule ses jambages tandis que les deux poètes se disent : Nous rêvons/ d’une écriture/qui serait musique/ transes/ confidences d’oiseaux/danses/pleines d’élans/ au bord du vide. Ce rêve comme un vœu fervent confié au petit oiseau chinois qu’on libère de sa cage en échange d’une pièce de monnaie ?
Et les poètes sourient sans doute en écrivant : la cane / a / ri. Nouveau clin d’œil à Prévert qui, narquois, sourit des mots / à l’état sauvage ?
Il aurait aimé ce recueil. À n’en pas douter.
Lui qui disait La poésie, c’est le plus joli surnom qu’on donne à la vie.
Jean Jauniaux