Paul COLIZE, Un monde merveilleux, Hervé Chopin, 2022, 314 p., 19 € / ePub : 12,99 €, ISBN : 9782357206830
Quel est ce Monde merveilleux annoncé dans le tout nouveau roman de Paul Colize ?
Celui du bon vieux temps des machines à écrire mécaniques, avec leur chariot cliquetant?
Le monde d’avant les autoroutes ?
Le monde des francs belges et des taux de change, de l’Espagne de Franco et de la guerre du Sinaï, de la guerre froide, du choc pétrolier et de mai ’68 ?
Ce monde merveilleux est-il déjà là ou à venir ? Prêt à l’emploi ou à construire et à défendre ?
Daniel Sabre, chef de char de l’armée belge cantonné en Allemagne, est envoyé en mission. Une mission qui comporte plus de non-dits que de consignes, lesquelles se limitent à ne rien dire à personne tout en envoyant un rapport téléphonique quotidien à sa hiérarchie…
Daniel Sabre a « entrepris des démarches pour monter en grade. » Y a-t-il vraiment un lien de cause à effet entre cette demande et le fait de convoyer quelqu’un sans lui poser de questions ?
Bref, voilà Daniel (en civil) et Marlène (puisque Marlène il y a) embarqués pour une expédition dont les contours se révéleront peu à peu à eux-mêmes autant qu’au lecteur.
« Quelle mission ? Rester cloué sur un siège inconfortable, garder le silence et s’abstenir de fumer ? Si ses supérieurs projetaient de teste sa patience, ils avaient trouvé la bonne formule. »
« J’en ai appris un peu plus sur notre chauffeur. Il se nomme Daniel Sabre. (…) À sa demande, je me limite à l’appeler monsieur. Entre nous, on va l’appeler Dany. De prime abord, Dany n’est pas un grand bavard. Chaque parole semble calculée, chaque silence mesuré, chaque geste répété. »
L’intrigue se passe en cinq journées encadrées d’un prologue et d’un épilogue. Elle progresse par chapitres parallèles dans lesquels Daniel et Marlène s’expriment tour à tour et dévoilent leurs pensées – en particulier à propos de leur vis-à-vis –, leurs doutes, leurs attentes.
Il s’en voulait de s’être emporté. Cela ne lui ressemblait pas. Il aurait dû rester maître de lui et répondre avec tact, d’autant que sa faculté à garder son sang-froid était l’un de ses atouts. En son for intérieur, il reconnaissant que cette histoire de « guerre à gagner » avait été maladroite. Il aurait dû prendre un autre exemple. Ou fermer sa gueule, comme convenu. À présent, elle allait remonter l’information.
À force de passer des journées ensemble dans l’espace restreint d’une automobile, ils vont immanquablement dialoguer, fût-ce à fleuret moucheté, et même se trouver des points communs, puisque la guerre a marqué – c’est peu de le dire – leur enfance à tous les deux. Les deux personnages s’humanisent, tant l’un pour l’autre qu’aux yeux du lecteur qui entre dans leur cercle d’intimité.
L’alternance des points de vue de chacun révèle autant d’éléments de connaissance au lecteur qu’il lui pose de nouvelles questions en soutenant le mystère et donc le suspense. Qui est Olga ? Qui est Irène ? À qui Marlène écrit-elle ? Qui sont ses commanditaires et pour quelle mission ? Pourquoi l’obéissance toute militaire de Daniel la met-elle dans cet état de révolte et de colère ?
Paul Colize maintient le suspense d’une manière impressionnante et fait monter la tension jusqu’au moment où la vérité de leur mission va exploser dans toute sa perversité, autant pour Daniel que pour Marlène. Avec un retournement final qui va les réunir et les libérer d’un passé qui aurait pu continuer à être mortifère.
Les guerres ne s’arrêtent pas vraiment le jour où l’armistice est conclu ; ce qu’elles ont semé de haine et de souffrance continue à détruire les survivants et leurs enfants. Ce terrible constat était déjà travaillé dans le précédent livre de Paul Colize, Toute la violence des hommes. Il est encore creusé et développé ici, sur un autre mode, dans une autre époque et n’est pas sans rappeler l’adage : « Les pères ont mangé des raisins verts et les dents des enfants en ont été agacées. (Jr 31,29) »
Avec, en bonus, un jeu de pistes intéressant tout autant qu’intrigant : l’auteur parsème le livre de courts chapitres intercalaires, présentant, comme autant de petits cailloux blanc sur le chemin du Petit Poucet, des personnages connus (Stefan Zweig, John Lennon ou Hannah Arendt) ou moins connus (Jeff Widener, Joe Van Holsbeke ou Arnaud Beltrame), comme un contrepoint au récit et une invitation à décoder le rapport avec l’histoire racontée. Ne manquez pas la rencontre avec Louis, dernier de la liste de ces personnages invités.
Et bonne lecture.
Marguerite Roman