Florence NOËL, Ni de sang, ni de sens, Nouvelle Revue des Élytres, édition spéciale n°2, mars 2022, 36 p., 8 €, ISSN : 0777401
Que dire ou plutôt comment dire le réel quand il y a eu attentat ?
Dans son dernier recueil Ni de sang, ni de sens sous-titré Chants pour Paris 13 novembre 2015 & pour Bruxelles 22 mars 2016, Florence Noël ruse avec la langue pour sonder la question du sens d’un réel volé en éclats. Quelle langue pour la sidération ?
Au travers de ce recueil, c’est comme si Florence Noël se demandait : quelle langue quand on attente à
[ce qui] restera
composé à 75%
d’eau
êtres humides
êtres humains
La poétesse a recours aux chants – ceux de la poésie et non ceux de la musique, même si ses mots convoquent des sons multiples – cris et crissements de corps broyés, soufflés – comme si cette forme lui servait d’unité de base, de socle pour assembler, rassembler, rapiécer. En d’autres mots (ceux de Florence Noël), on pourrait aussi dire : le chant parce que
ça ne se déchire pas
ça ne s’éparpille pas
au souffle mauvais
du sec enfer
Et Florence Noël de composer des images fortes taillées dans une langue concrète où
le verbe devrait se saisir
des corps épars
des âmes concassées
les étreindre au plus vide
de leur manque
bercer leur moelle
et tatouer tendrement
à même leurs veines
le mythe jamais écrit
de la consolation
Une langue comme des éclats mais qui progressivement deviennent autre chose que des cris. Une langue qui apaise, langue-mélopée que l’on répéterait comme une rumeur. Ou un baume semblable à ce que l’on récite en secret aux enfants au moment d’aller dormir… ces mantras pour conjurer le sort et l’effroi, une langue-prière pour se donner du courage.
aujourd’hui ma dignité sera de m’agenouiller
au niveau de ma peur
à hauteur de mes hontes
de vouvoyer les vôtres
avec ce respect
du frère non de ses actes
de guérir la poussière
avec l’eau tirée
au puits d’humilité
d’aimer au pied de la lettre
sans attendre
sans prétendre
rien de plus
qu’un regard échangé comme
un passeport d’humanité
Les chants de Florence Noël ont-ils pour fonction de (se) souvenir, avec cette matière qui sans cesse revient, pareille à un refrain factuel et faite de ces phrases ? :
Chant pour les 191 assassinés et les 1858 blessés gare Atocha à Madrid le 11 mars 2004
Chant pour Bagdad (ville du monde la plus touchée par les attentats islamistes, avec 1119 attentats et 7282 morts. 55,8% des personnes mortes lors d’attentats islamistes au Moyen-Orient et en Afrique du Nord ont été tuées en Iraq entre 1979 et 2021).
Chant pour les 305 assassinés et les 109 blessés de la mosquée soufie al-Rawdah de Bir-Al-Abed le vendredi 24 novembre 2017.
À moins qu’ils ne soient là pour empêcher que ne sombrent dans l’ « oubli ogreux » les victimes assassinées, blessées ici (Paris, Bruxelles), mais aussi (surtout) dans les « douze pays à forte population musulmane Afghanistan, Irak, Somalie, Nigeria, Pakistan, Syrie, Algérie, Yémen, Égypte, Philippines, Inde et Lybie, [où] on enregistre 187.284 morts provoqués par les attentats islamistes, ce qui représente 89,1% du total des morts par attentats islamistes recensés dans le monde entre 1979 et 2021« .
Non. Ces chants pour nous permettre de retrouver un « nom commun » :
espoir
(on l’enseigne si rarement)
et un nom pour prophètes :
espérance
(peu l’osent encore)
Un chant [des chants dont] « nos glottes ne tremblent
que d’attendre
qu’il chante
Ces chants comme une consolation.
Amélie Dewez