Résurrection de mots

Marie-Thérèse BODART, Le mont des oliviers, Préface de Pascale Toussaint, Samsa, 2022, 160 p., 18 €, ISBN : 9782875933966

bodart le mont des oliviersIl suffit de parcourir les rayons d’une bibliothèque ou de feuilleter un ancien magazine littéraire pour constater à quel point le temps constitue souvent une rude épreuve pour un livre, même quand celui-ci rencontre le succès lors de sa parution. Aussi la réédition représente-t-elle une entreprise à risque, certes, mais aussi une chance pour une œuvre d’affirmer son amplitude et de vivre une vie nouvelle.

Après La moisson des orges, L’autre, Les meubles et Les roseaux noirs, les éditions Samsa poursuivent leur travail remise en lumière de l’œuvre romanesque de Marie-Thérèse Bodart (1909-1981). Paru en 1956, Le mont des oliviers nous immerge dans l’univers de la réclusion monastique d’Agnès, une jeune femme en proie aux tourments après qu’elle a découvert que sa sœur a assassiné l’homme qu’elle aimait et qui était aussi son propre amant.

Dans un cahier, qui relate les faits et sa vie de moniale, Agnès résume en ces mots l’alternative qui se présente à elle : « J’ai le choix, devenir un monstre ou m’en remettre à Dieu ». Car rentrer au couvent, c’est déposer son destin entre les mains de la hiérarchie religieuse, rompre avec le « siècle », et donc renoncer aux contacts extérieurs pour s’effacer dans une vie de labeur et de prière jusqu’à l’oubli de soi. L’Ordre de Rachat fait grand cas de la pénitence, celle qui permet de purger ses propres fautes et de porter celles des autres, dans l’espoir, sans doute, de trouver une forme de paix. Mais Agnès ne tourne pas le dos à ses démons qui se rappellent à elle, lui laissant de rares moments de quiétude. Car la vie monastique est aussi un huis clos où s’exacerbent les tensions, les jalousies entre sœurs et, souvent, ranime la part d’ombre que l’on pensait laisser au-dehors. Ici, on s’épie, à l’affut des rares occasions de rompre la monotonie, et certaines cèdent à leurs passions ou sombrent dans la folie. Et puis il y a les jeux troubles des directeurs de conscience, les injonctions données par les supérieures qui servent les intérêts de la communauté, parfois aux dépens de ceux des personnes.

Centré sur la vie monastique, ce roman séduit d’emblée par la grande maîtrise de l’écriture qui lui donne vie. Tout à la fois sobre et élégante, elle impose une mélodie qui résonne de bout en bout et nous conte un temps qui n’est plus sans sombrer ni dans l’emphase ni dans le moralisme. En fait, Le mont des oliviers s’impose au fil des pages par son étonnante modernité. Celle-ci tient à coup sûr à la place que le doute occupe dans l’esprit d’Agnès, qui se livre sans détour, et n’épargne en rien ni sa foi religieuse ni les institutions auxquelles elle se confie. Son ambivalence, ses paradoxes mettent à mal les certitudes dont on voudrait l’entourer et constituent précisément le moteur central du récit qui offre du même coup une vision nuancée de la condition monastique. Présenté par Pascale Toussaint, dans sa préface éclairante et subtile, comme celui des romans de Marie-Thérèse Bodart que l’on passe volontiers sous silence, il pourrait bien à présent s’imposer par son audace et par l’universalité des questions qui l’animent, ce qui ne serait qu’un juste retour des choses.  

Thierry Detienne

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