Responsable ou coupable?

Charles BERTIN, Journal d’un crime, postface de Laurence Pieropan, Impressions nouvelles, coll. « Espace Nord », 2022, 238 p., 8,50 €, ISBN : 9782875685629

bertin journal d'un crime« Quand le timbre de la porte d’entrée retentit ce matin à sept heures, je sus qu’Elio était mort ». C’est la première phrase du premier roman de Charles Bertin. Lors de sa publication en 1962, l’écrivain a déjà produit une œuvre importante et reconnue depuis ses premiers poèmes, remarqués par Marcel Thiry, en 1939, avant de bifurquer vers la littérature dramatique avec son Don Juan publié en 1946 et couronné par le prix triennal de Littérature dramatique en 1948. 

Ainsi donc, Elio est mort.  Qui est Elio ? Qui est le narrateur ?  Que s’est-il passé entre eux?

Mais sans cesse, le visage d’Elio m’apparaissait : je revoyais ce regard tendu, plein d’interrogation et de perplexité, ces lèvres fines et tristes qui se refermaient sur leur secret. 

En fait, Elio s’est jeté dans la Seine et la police a retrouvé sur lui la carte de Xavier Saint-Pons, avocat honoraire.  C’est lui qui a retenu Elio sur le bord du parapet, qui a marché avec lui pendant une heure, l’a amené à parler du départ de sa femme, lui a fixé un rendez-vous le lendemain, lui a donné de l’espoir et mille francs…

Bouleversé autant qu’intrigué par le suicide d’Elio, Saint-Pons va mener l’enquête, en recherchant successivement la concierge du défunt, sa veuve, son ami prisonnier de guerre, l’infirmière en chef de l’hôpital où Elio avait été admis pour une première tentative de suicide, jusqu’à retrouver le restaurant où Elio a pris son dernier repas le soir fatidique. 

Cette enquête devient aussi sa quête.  Car en explorant la vie d’Elio – pauvre et malchanceux de sa naissance à sa mort –, Xavier Saint-Pons, nanti et fortuné, plonge dans sa propre vie, dans les méandres de son parcours de velléitaire.  « Je crois que mon malheur fut de nourrir les rêves d’un homme exceptionnel en possédant le caractère et les talents d’un homme ordinaire.  J’ai toujours admiré les êtres capables de consacrer toute leur existence à la réalisation d’une idée unique. Moi, j’ai caressé mille désirs, formé mille projets : je n’en ai pas réalisé un seul. »

Même la trahison de la femme d’Elio devient un miroir inversé de la vie de Saint-Pons, lui qui était tellement décidé à quitter sa femme, … et qui y a renoncé au dernier moment, sans raison apparente. « Pourquoi ne suis-je pas parti ?  Si je connaissais la réponse à cette question, je posséderais la clef de ma vie.  Je saurais peut-être pourquoi je n’ai pas sauvé Elio, pourquoi je n’ai pas écrit les livres que je rêvais d’écrire… Mais cette réponse, je ne la connaissais pas. »  

Le récit prend effectivement la forme d’un journal intime composé des notes plus ou moins régulières relatives à l’enquête menée par le narrateur, enquête qu’il entame le 22 septembre et qui se clôt 2 novembre  sur un dramatique « Mon Dieu !… »  Qu’a découvert Saint-Pons ?  Et quel est ce crime ? 

La deuxième partie du journal – du 4 au 17 novembre – est rédigée en prison… puisqu’il y a eu crime. Quoique. «La clef du problème réside dans cet aveu.  L’affaire ne sera éclaircie que le jour où nous saurons pourquoi mon client s’est accusé de ce crime… »

L’espace du narrateur se rétrécit encore, passant de sa maison cossue dans Paris à la prison, et maintenant à un lit d’hôpital qu’il ne quittera plus, où il rédige la lettre dans laquelle tous les éléments d’un implacable engrenage vont s’emboîter de manière définitive.   

Dans Journal d’un crime, Charles Bertin allie la profondeur de l’introspection psychologique, la description de personnages ordinaires que pourtant on n’oubliera pas, la tenue du suspense liée à la réussite de toute narration, l’exigence de la recherche du sens philosophique et théologique du sens de la vie. Merci, encore une fois, à la  collection  Espace Nord de poursuivre son travail de mise à disposition, au format (et au prix) du livre de poche, des classiques de la littérature belge.   Et quand le classique est bon, il est toujours d’actualité et on en redemande.

Marguerite Roman

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