Outre

Jean-Marie CORBUSIER, Comme une neige d’avril, Lettre volée, 2022, 112 p., 17 €, ISBN : 978-2-87317-586-3

corbusier comme une neige d'avrilVoyageur aux prises avec un univers de mots, Jean-Marie Corbusier poursuit dans son nouveau recueil publié à La Lettre volée – Comme une neige d’avril – sa recherche de la poésie. Explorateur, télégraphe, le poète prend note de ce qu’il perçoit – spoiler alert – : de la neige, toujours plus de neige, de la neige sur de la neige. Le blanc, que ce soit celui de la neige ou du papier, occupe, par conséquent, une place prépondérante dans ce dernier recueil.

Cette comparaison pour titre dit bien l’état de précarité de l’univers dans lequel évolue le poète. Cet univers se caractérise par une absence de repères efficaces. Pire, les règles qui le régissent ne semblent pas fixées une fois pour toutes. Le sol se dérobe sous les pas du poète qui ne sait nommer précisément ce qui l’entoure (« Ici amas se dit congère / ailleurs/banc de neige / là-bas qui revient » ; « l’aube / qui a changé de nom / le doute encore »). Aussi, le poème « comme une neige d’avril » est-il l’image qui cache l’univers du dire impossible.

C’est donc le mot (la parole par opposition au langage), polysémique, qui prend les traits d’un antagoniste :

Neige à son interprétation     nulle au mieux                        possible à nouveau dévoilé d’un resserrement autre     face qui aura cherché          et sens du poème       qui ne renvoie à rien     sauf à tous sens de la langue délivrés         par exception d’être

Pourtant, et c’est peut-être la démonstration la plus vive de Jean-Marie Corbusier dans ce dernier recueil, il faut continuer d’avancer (et donc d’écrire) au risque de se perdre (« Matière comme ce blanc / soi contre soi / Sol frappé / Dire est une séparation / échecs qui s’accumulent » ; « Parole tue qui parle encore / Bleu ne pâlit pas / bleu compact / comme oui ou non / Moi perdu / le chemin perdu / perdus / comme la terre aujourd’hui »). Pour l’y aider, par-delà le blanc,  persistent quelques éclaircies de bleu qui ouvrent un horizon vers lequel tendre ­— quoiqu’en sa qualité d’horizon, le bleu demeure à jamais insaisissable.

Ici, donc, on navigue à vue, mais aussi et surtout sur plusieurs niveaux. Il y a d’abord le bleu, poésie, aérien, immatériel et objectif inatteignable ; ensuite le langage ; enfin le mot tel qu’objet de composition : matière et brique d’un poème.

De même que le poète semble chercher son chemin au travers de ces niveaux et malgré la fourberie des mots, le lecteur devra se résoudre à être la dupe du sens et de l’illisibilité tout en continuant d’avancer, lui aussi, le regard porté de mot en mot. Ceux-ci, apposés les uns aux autres, dénudés, sans liens évidents, s’éclatent sur la page pour plus de dénuement encore et pour laisser la place au blanc. Autrement dit, un hermétisme minimaliste et rigoureux est de mise : il faut s’y faire et chercher beaucoup. Pour y aider le lecteur, la poésie de Jean-Marie Corbusier sait se montrer ludique. Par exemple, il arrive que le sens des mots soit projeté visuellement de sorte qu’ils deviennent entités autonomes et pleinement briques :

                                                                       Disjoints

                                    bleu                                                                            blanc
de loin
toujours de loin

Le dépouillement du mot, nu et blanc, devenu matière et dépourvu de son sens, est ce vers quoi s’enfonce Jean-Marie Corbusier. À mesure que le lecteur avance dans le recueil, chaque mot jeté sur le papier semble être le produit d’un effort de distillation toujours plus grand dans le but d’atteindre l’au-delà du sens. Au bout du compte, le poète se déleste de tout, si ce n’est d’un mot, qui définit bien son ambition : « Outre ».

Camille Tonelli

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