Visages et figures de la Belgique

Marc QUAGHEBEUR, Belgiques, Ker, coll. « Belgiques », 2022, 108 p., 12 € / ePub : 5,99 €, ISBN : 9782875863300

quaghebeur belgiquesProfitant du climat humide quoiqu’ensoleillé que nous promettait la venue de l’automne, les éditions Ker propulsent sur les tables des libraires une nouvelle pièce de la collection « Belgiques ». C’est Marc Quaghebeur qui en signe le dix-neuvième recueil de nouvelles. Comme Rose-Marie François, Laurent Demoulin, Colette Nys-Mazure avant lui – pour ne citer qu’un échantillon restreint – il applique habilement la consigne de dresser un « portrait en mosaïque de la Belgique » afin de livrer dans un tableau impressionniste le reflet d’une Belgique : la sienne.

La Belgique de celui qui a voué sa vie à la littérature francophone de Belgique semble ne vouloir se laisser découvrir qu’au travers de figures des champs littéraire et artistique du pays. L’ombre d’Abraham esquisse le portrait de Sarah Kaliski (1941-2010) ; Tant de haine nous raconte le dévouement au théâtre et à la recherche de Michèle Fabien (1945-1999) ainsi que sa fascination pour le travail de Pierre Mertens ; Les lisières de l’infini conte l’impertinence du poète Jean-Claude Pirotte (1939-2014). L’empereur Charles Quint prend également la parole dans Avant que le soleil ne se couche. D’autres figures, apparemment anonymes, voient pourtant leur vie décortiquée et leur personnalité exhibée avec tendresse dans Bruxelles… Bruxelles…, On l’appelait meringue, Passés les sables et L’un et l’autre. Aussi apparait-il clairement que chacune des pierres de la mosaïque composée par Marc Quaghebeur est de nature identique. Chaque personnalité provient du territoire de Belgique ou l’occupe. Mystérieuses, elles brillent par la force de leur caractère et la fatalité du destin qui les attend. Enfants d’une époque, elles en portent la marque et les séquelles : l’originalité se découvre au départ des conventions.

Partant de l’humain, sur le ton du biographe ou du guide touristique, Marc Quaghebeur décrit donc les fils qui nouent et qui opposent l’individu à ce qui le dépasse et le contient : la société, ses convenances et ses mœurs, sa culture, l’Histoire. Cette dernière a laissé une empreinte particulièrement tenace dans la vie de la plupart de celles et ceux qui ont retenu l’attention de l’auteur. Par exemple, dans L’ombre d’Abraham, on lira, adressé à Sarah Kaliski dans un langage sobre et rigoureux :

Tu as trois ans lorsque votre père disparait à Auschwitz. Un an lorsqu’il cache ses plus jeunes enfants dans des familles chrétiennes, après la rafle du 3 septembre 1941 à Anderlecht. On vous a prévenu à temps. Lui refusa toujours de se cacher.
Impalpable et omniprésent, dépourvu de gestes, de visage, il ne cesse de t’appeler. On ne peut rien comprendre à la tendresse nostalgique de ton œuvre sans se souvenir de cette absence, de sa présence. Tu la celais, tu la vivais, tu n’as pas cessé de la métamorphoser.

La nostalgie d’un autre temps, les habitudes qui demeurent, le temps présent qui suit malgré tout son cours sont autant de marqueurs de la dualité de l’individu et de l’Histoire (dans On l’appelait meringue, on pourra lire : « Les années d’occupation l’ont marquée. Sans doute ont-elles modifié son chemin. Le séjour en Hollande prévu pour l’automne 1940 demeura forcément lettre morte. Elle n’a donc jamais quitté la Ville. Elle lui suffit »).

Choisissant d’appliquer sur la Belgique le philtre de diverses subjectivités, Marc Quaghebeur explore plusieurs siècles de vies. En allant plus loin, l’on s’aperçoit que chacune de ces individualités, que chacun des lieux, que chacune des œuvres citées renvoient à l’une des facettes de l’auteur. Dans quelques-unes de ses notes biographiques, l’on trouve des références, précisément, à son amitié avec Sarah Kaliski, Michèle Fabien et Jean-Claude Pirotte, à sa découverte du château de Charles Quint à Yuste, aux nombreux textes qu’il a déjà écrits autour de cette figure.

L’ensemble de son Belgiques compose un intéressant jeu de piste autour de fragments de l’identité de l’auteur, comme pour nous confirmer qu’un pays est avant tout fait de ceux qui l’habitent.

Camille Tonelli

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