Colette NYS-MAZURE, Belgiques, Ker, coll. « Belgique »s, 2021, 151 p., 12 €, ISBN : 978-2-87586-305-8
L’œuvre de Colette Nys-Mazure est essentiellement fondée sur la poésie. Tout part d’elle dans son écriture et tout y ramène. Y compris ici, quand elle nous livre ses visions de la Belgique dans un recueil de quinze récits…
Ce recueil fait partie de la fournée 2021 de cette collection originale imaginée par Xavier Vanvaerenbergh, le fondateur et directeur de Ker éditions. Une collection de recueil de nouvelles dont tous les livres s’intitulent : Belgiques. L’éditeur demande à un.e auteur.e belge de donner sa vision, ses visions de la Belgique. Au catalogue, figurent déjà diverses approches dont celles de Françoise Lalande, Vincent Engel, Giuseppe Santoliquido, Luc Baba, Jean Jauniaux, Marianne Sluszny, Véronique Bergen, etc. Chacun et chacune y vont d’une approche singulière : historiques, humoristiques, politiques, autobiographiques, etc.
Colette Nys-Mazure développe quant à elle une géographie de l’intime, mémorielle, qui doit beaucoup à son enfance et à des paysages qui lui sont familiers comme ceux du pays des collines, des rives de l’Escaut, de la ville et des pourtours de Tournai ou de Wavre, d’Estaimbourg, de Libramont et son Académie d’été où Colette Nys-Mazure est animatrice depuis des années, etc. Des textes où elle clame la fierté de sa belgitude, des textes écrits en plein confinement pour cause de pandémie et de malin virus. Des textes chapitrés en trois volets : Naïves ou le temps des initiations, Hospitalières parce que tout s’ancre dans les rencontres et Ferroviaires, car « Une Belgique sans train, est-ce imaginable ? ».
Il n’est pas exagéré de déceler dans ces textes une dimension autobiographique. Plusieurs des femmes au cœur de ces récits partagent des connivences avec l’auteure. Comme Elvira, dans Le petit train à vapeur, qui s’interroge sur son « alliance indéfectible avec les transports en commun », et clame « qu’elle aime violemment les trains, les trams, les métros, les autobus, tous les transports en commun. Plébéiens, aléatoires, bruyants, malodorants, ils la transportaient néanmoins dans un autre monde, la faisaient planer, selon ses petits-enfants. » Quasi un autoportrait de Colette Nys-Mazure pour qui la connaît un peu. Comme Frédérique, « la-garçon-manquée » du texte Cet arbre-là, qui a perdu son père dans un accident dramatique. Comme la narratrice de Gare à vous !, qui quitte la gare de Froyenne pour donner un atelier d’écriture à la prison de haute sécurité d’Andenne ou dans une abbaye cistercienne près de Charleroi, où sont recluses une trentaine de femmes.
L’enseignante Sandra du texte Échanges doit également beaucoup à l’auteure dans cette attention, cette empathie qu’elle a pour les autres et leurs malheurs. Elle partage avec elle cette propension que l’écrivaine belge a de toujours mettre en avant des confrères et des consœurs, comme ici Yvon Givert et Charly Delwart, dont la narratrice et son vis-à-vis échangent un des livres. Du Colette Nys-Mazure pur ! Dans d’autres passages, ce sont Thyl Ulenspiegel, François Jacqmin, Armel Job, Antoine Wauters, Liliane Wauters, Géo Libbrecht, Carl Norac, Daniel Charneux, Chavée, Norge, Max Elskamp, Charles Van Lerberghe et sa Chanson d’Éve qui sont évoqués, de sorte que lire un livre de Colette Nys-Mazure, c’est aussi s’offrir une invitation à voyager dans les littératures belges d’aujourd’hui. Qu’elle conclut, à nouveau, par un poème :
Ma vie cherche sa ligne
parmi le réseau
l’écheveau des rails intriqués
Les quais sont des embarcadères
nous y appareillons
tous
Car, nous l’avons dit, tout part de la poésie et tout y ramène dans l’œuvre de Colette Nys-Mazure. Ainsi fait-elle dire à la narratrice de Gare à vous ! : « Très vite, je m’aperçois que la poésie leur parle davantage. Normal ! Les poètes vont à l’essentiel, au nœud dur de l’existence, sans se payer de mots. » Un acte de foi littéraire et bien davantage : une philosophie de vie, une manière de « lire » l’existence. Elle est aussi présente dans l’écriture de ce livre, puisque dans sa structuration générale il s’ouvre et se referme sur un poème (chaque fois imprimé en italiques), que la majorité des récits procèdent de la sorte et surtout que les ressorts de la poésie infusent dans chaque texte avec des rimes intérieures, des allitérations, des métaphores, des phrases nominales, des rythmes spécifiques, etc.
Selon un mantra propre à l’auteure, Lire, relier, titre du dernier texte, le livre se termine sur une recherche en bibliothèques entre Louvain-la-Neuve et Leuven, ralliée en train bien sûr et cela, malgré les ennuis ferroviaires (« Quel supplice endurent les utilisateurs journaliers de ces trains elliptiques »), ainsi que sur un poème en forme de déclaration d’amour au pays :
Désuet royaume de Belgique
aux confins des enjeux européens
très près du cœur cependant
Michel Torrekens