Laurent DEMOULIN, Belgiques, L’union fait la douceur, Ker, 2021, 146 p., 12 €, ISBN : 9782875863010
À l’automne dernier, dans le quotidien L’Avenir, Michel Paquot, relevait que les trois recueils de nouvelles de la collection « Belgiques » qui venaient de paraître aux éditions Ker et signés Véronique Bergen, Marianne Sluszny, Michel Torrekens (2020) guignaient vers le passé, ce que confirmait Jean-Claude Vantroyen dans Le Soir. Qu’allait faire Laurent Demoulin de cette proposition d’écrire « un portrait en mosaïque de la Belgique », avec toute la liberté formelle qu’offre le genre de la nouvelle ?
Même si l’écrivain commence le recueil par un texte autofictif, « La fille aux deux noms », où il égrène des souvenirs d’école, de visite médicale, de cours de tennis, pour le reste il a plongé son inspiration dans le présent et le futur du pays (des pays…). Il s’est nourri du « réel contemporain » (celui, par exemple, du déconfinement et des demi-visages masqués, « Corona song ») qu’il a projeté dans la littérature, l’avenir, quitte à entraîner le pays au bout de son actuelle logique destructrice. Même si c’est d’autre chose, d’une autre Belgique, d’un autre monde dont rêve, à mots bas, l’auteur de Robinson, pour ses enfants, ceux des autres, comme l’indiquent le sous-titre du recueil, « L’union fait la douceur », les dédicaces à sa descendance et l’épigraphe de la première nouvelle empruntée à Eugène Savitzkaya (« Nos enfants sont nos dieux, ils sont notre richesse, notre futur, notre éternité… »).
Laurent Demoulin, on le sait, est un écrivain lettré, polymorphe, aussi bien prosateur que poète, critique que professeur. Sa culture littéraire, il ne l’étale pas, comme certains cuistres, juste pour satisfaire sa vanité, non, elle lui sert de boîte à outils pour varier les styles, jouer des genres, amuser le lecteur, établir une complicité dialogique avec lui et pratiquer la réflexivité narratologique… Alors, une salade liégeoise, ce recueil de nouvelles avec ses récits d’anticipation, son énigme policière (à la Simenon), sa course Liège-Bastogne-Liège cauchemardesque, son autofiction enfantine, son texte de questions flamandes… ? Oui. Pour la variété et la saveur des ingrédients, le plaisir ressenti à la dégustation. Non. Car ce plat a une vertu réconfortante que ne possède pas le recueil de Laurent Demoulin.
Même s’il est souvent souriant, blaguant et parfois riant, au bout du compte, il s’avère quelque peu inquiétant. Les nouvelles mettent en scène les anciennes dichotomies qui malmènent les êtres humains et la planète (homme/femme ; wallon/flamand…) que l’écrivain ne dissipe ni ne résout. Il en ajoute même de nouvelles (saison glaciale/saison brûlante ; H. A. (humains augmentés électroniquement) / simples mortels (en quête d’amour) …) Et quand il en explose certaines, ce n’est pas pour le meilleur comme s’en rend compte le personnage d’« Aux portes du ciel », qui, croyant avoir terminé son tour du monde post-mortem et pouvoir retrouver son aimée, doit ajouter quatre pays à son périple sexuel : « la République flamande, Bruxelles-district européen, le Royaume résiduel de Wallonie et le petit saint Empire romain germanique d’Eupen ». Est-ce que, grâce à ce livre, les lecteur·rice·s vont être alerté·e·s de l’impasse sociétale, politique, climatique dans laquelle se trouve la Belgique (ainsi que le reste du monde néolibéral) et inventer une troisième voie pour éviter les grands désastres ? Nous croisons les doigts… We duimen…
Michel Zumkir