Bestiaire du vivant

Véronique JANZYK, Sachant qu’aucun animal ne nous appartient, Onlit, 2022, 128 p., 17 €, ISBN : 978-2-87560-167-4

janzyk sachant qu'aucun animal ne nous appartientTrouver une chienne en rue qui vous fait replonger en enfance et s’aventurer alors avec cette Douce. Entendre le cri, constater le sac de terreau éventré, découvrir « l’animal ». Saisir le rendez-vous quotidien de l’homme et de l’oie, sur un banc, en bord de lac. S’attarder sur les beaux yeux d’une poule, tenter d’aider un coq, découvrir l’œuf du jour. Réconcilier une fillette avec l’apprentissage de la lecture grâce à des éléphantes, ouvrir la porte à des chats errants, cohabiter sur la même branche pour capturer l’instant, défendre la cause des columbidés. Recueillir Mouchette, la mouette. Croire intensément en l’espérance de vie des hérissons et, plus tard, en bord de mer, en celle d’un goéland. Rencontrer un fervent militant pour les sans voix, toucher des ailes le Champion et le milieu colombophile, accueillir un perroquet et devenir son inséparable. S’organiser pour boycotter le gazage de pigeons et voir, au-delà, des oreilles d’un lapin. Dix-neuf récits où mondes humains et mondes animaux se rencontrent, se superposent, s’entrelacent.

Avec Sachant qu’aucun animal ne nous appartient, Véronique Janzyk signe un nouvel opus de nouvelles. Un enchevêtrement du « vivant » rendu sensible à travers l’approche émotionnelle des relations entre l’homme et l’animal, où la peur, le désir, l’amour, dépassent les frontières de l’espèce :

Ce que je connaissais le mieux de l’animal, jusqu’à présent, c’était sa peur, et la blessure qu’il m’avait infligée. Nos yeux se sont croisés. Nous nous sommes regardés. Malgré la peur et la séquestration, les yeux de l’animal restaient vifs. Le corps était terne, brun, mais les yeux mon Dieu les yeux, je peux dire que jamais je n’ai vu une telle lueur dans un regard, même humain. J’ai baissé les miens.

La plume de Janzyk donne à voir, à entendre, à sentir. Une patte stylistique qui relève parfois plus de l’exercice affectif du langage que de mécanismes linguistiques spécifiques. Des phrases ramassées, sonores, de brefs syntagmes juxtaposés, un langage créatif qui rend sensible une quantité d’observations.

Les nouvelles mettent en scène une communauté d’êtres interspécifiques tangible par les caractéristiques hybrides attribuées aux différents protagonistes. L’animal y est souvent miroir de l’homme. Des rencontres avec une altérité à travers laquelle les personnages humains se reconnaissent ou peuvent se voir :

Petitnoir te fixe, il regarde les oiseaux et les fleurs, il n’en a jamais vu autant. Il n’a jamais autant entendu ta voix. Toi aussi, tu n’as jamais autant vu Petitnoir, ses yeux bruns, grands. Petitnoir et toi en miroir. Petitnoir a faim. Toi aussi, une faim terrible. Cette faim ne passera pas. La soif s’y ajoute. Sur l’écran de téléphone où je te vois lorsque tu es hospitalisée, c’est notre seul moyen de communication, tu passes la langue sur tes lèvres. Elles sont sèches. Tu fermes les yeux. Tu tires sous le menton ton peignoir que tu portes comme une couverture. C’est un peignoir noir, c’est rare. 

Des récits qui éprouvent les limites ontologiques entre l’homme et l’animal sur le registre du lien.

Je tenais Douce court en laisse désormais. Elle me tenait en laisse aussi et pour longtemps. Mon enfance retrouvée était passible à tout moment de sauter à la gorge d’un passant. Ma jeunesse avait des crocs. Nous fréquentâmes un centre de dressage, ou plutôt d’éducation canine. Douce y côtoyait des Brutus, des Rex, et moi des hommes musclés et tatoués. Plus que je ne pouvais supporter fut atteint avec le port imposé, pour les sorties, d’une muselière. Il m’était impossible de bâillonner plus longtemps mon enfance, douce et sauvage.

Un recueil du vivant, un bestiaire (d’) humain.

Sarah Bearelle

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