Maurice Carême, le maître inquiéteur

Maurice CARÊME, Médua suivi de Nausica, Piranha, 2022, 156 p., 14,50 €, ISBN : 9782371190689

careme medua suivi de nausicaÀ quand une monographie complète consacrée à Maurice Carême (1899-1978), qui le dégagerait de cette image de simple poète (ou de poète simple) qu’auront psalmodiée, par cœur quand ce n’est à contrecœur, des générations d’écoliers ? Cet auteur que son rayonnement a contribué à opacifier fut, à l’avers, un poète doux au risque de la mièvrerie, unanimement reconnu ; au revers, un romancier rare et d’autant plus « dur ». Ainsi dans Le martyre d’un supporter (1928), il annonçait l’art d’un Simenon quand il cernait le drame de « l’homme nu » au travers d’un individu falot, que l’obsession du football dévore et déclasse.

Puis il y a cet étrange diptyque romanesque, Médua et Nausica, deux titres superbement ignorés par les historiographes des lettres belges, à commencer par Frickx et Trousson dans leur Dictionnaire des œuvres. Le premier, dont la rédaction est entamée en 1950, a seulement vu le jour à la Renaissance du livre en 1976 pour faire l’objet d’une réédition dans la collection « La petite Belgique » dirigée par Jean-Baptiste Baronian chez L’Âge d’homme en 2008. Le second a échappé jusqu’aux radars de la notice Wikipedia. Saluons donc l’initiative des jeunes éditions Piranha qui ont tiré ces deux romans brefs du néant où ils ont définitivement failli sombrer.

A priori, on pourrait se dire que l’ensemble manque cruellement d’une préface qui aurait contextualisé ces textes, et souligné leur atypique noirceur dans une production globale plus connue pour ses tons pastel ou sépia. Puis il apparaît que la nudité était le meilleur parti pris pour imposer leur qualité évidente. Médua et Nausica ont beau obéir à des régimes narratifs différents (respectivement en « je » et en « il »), tous deux baignent dans une atmosphère glauque et « malaisante » à souhait. Ainsi Carême va-t-il même jusqu’à convoquer l’inspiration d’un autre auteur de Sortilèges, quand il fait avouer à son personnage : « J’avais toujours cru à quelque vantardise lorsque Michel de Ghelderode prétendait avoir vécu, comme dédoublé, les aventures insolites de ses contes. Hélas ! il ne disait que trop vrai ! »  Le diffus, le flottant et le flou prédominent dans ces histoires étranges, et quand ils se dérobent, c’est pour céder le pas à « l’affreusement réel ». Le narrateur de Médua est poète, le protagoniste de Nausica est peintre ; mais l’Art n’apportera aucune rédemption à ces deux amoureux fous, rongés par de fantomatiques passions, éprouvant « la fascination pétrifiante et destructrice de l’enchantement ».

Ce volume sacre Maurice Carême en maître du réalisme magique, de l’introspection dérangée et, in fine, des Lettres francophones.

Frédéric Saenen

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