Prix des lycéens de littérature 2023 : le palmarès

Vinciane Moeschler

Vinciane Moeschler

L’édition 2022-2023 du prix des lycéens de littérature a livré son verdict : les élèves votants ont choisi Alice et les autres de Vinciane Moeschler. Ils ont toutefois aussi salué les autres romans en lice. 

Le prix des lycéens de littérature

Organisé tous les deux ans par la Fédération Wallonie-Bruxelles, le prix des lycéens fêté son 30e anniversaire. Pour cette édition, il soumet cinq romans d’auteurs et autrices belges aux élèves participants, qui ont aussi l’occasion de rencontrer les écrivain.e.s dans leur classe tout au long de l’année scolaire. Ce sont ainsi plusieurs milliers d’adolescent.e.s qui participent à une opération mêlant plaisir de lire et valorisation des écrivains belges francophones.

Le palmarès 2022-2023

moeschler alice et les autres

Le prix des lycéens de littérature est attribué à Vinciane Moeschler pour son roman Alice et les autres, paru aux éditions Mercure de France. 

Le roman reçoit aussi le prix des délégués de classe : 

Alice et les autres traite d’un sujet délicat, encore tabou dans la société.
Vinciane Moeschler met des mots sur la souffrance des personnes atteintes de troubles mentaux, mais aussi sur l’effet dévastateur que leur maladie peut avoir sur leur entourage.
Par ce prix, nous avons voulu récompenser un livre qui fait œuvre utile, en donnant une voix à toutes celles et ceux qui sont touchés de près ou de loin par la maladie mentale.

Le roman, très apprécié, reçoit également le prix Mots des maux:

Alice et les autres nous fait entendre la voix de chacune des personnalités qu’abrite son héroïne, atteinte d’un trouble dissociatif de l’identité.
Procédant par dévoilement progressif, le roman multiplie les points de vue pour tenter de résoudre l’énigme qu’est Alice, y compris pour elle-même.
Malgré la complexité de son sujet et sa construction éclatée, jamais nous ne nous perdons dans le labyrinthe du roman. Vinciane Moeschler nous guide d’une main de maître, au moyen d’un langage rythmé, direct, toujours accessible sans jamais être simpliste.

D’autres prix ont été décernés aux autres ouvrages participants. Chaque récompense souligne les qualités spécifiques du livre auquel elle est attribuée. 

alia cardyn mademoiselle papillon

Le prix du roman qui nous fait grandir récompense Mademoiselle Papillon d’Alia Cardyn (Robert Laffont) :

En dressant les portraits croisés de deux femmes qui ont fait le choix de prendre soin des autres, Alia Cardyn nous offre des modèles d’empathie qui nous inspirent.
Au travers de ses deux héroïnes, l’une fictive, l’autre historique, Mademoiselle Papillon nous montre que, quelle que soit l’époque, la lutte pour la protection des plus faibles repose sur la détermination de personnes qui s’engagent.
Le courage de ces figures exemplaires résonne en nous comme une invitation à grandir en donnant de soi.

derleyn debout dans l eau
 

Le prix du roman qui sort des sentiers battus va à Zoé Derleyn pour Debout dans l’eau (Rouergue) : 

Alors que tout va de plus en plus vite, l’écriture poétique de Zoé Derleyn a l’audace de nous inviter à prendre le temps.
À la manière des pointillistes, elle crée, par petites touches, le portrait d’une fillette solitaire, qui a fait d’un jardin son royaume.
Debout dans l’eau nous fait quitter les sentiers battus d’un quotidien sans magie, pour nous ramener en enfance, quand nous découvrions le monde à travers nos sensations, et qu’il se pliait à la fantaisie de notre imagination.

vincent engel les vieux ne parlent plus couverture

 

Vincent Engel reçoit le prix du regard vif sur le monde pour Les vieux ne parlent plus (Ker) : 

En phase avec l’actualité récente, Les vieux ne parlent plus est une dystopie qui pousse un cran plus loin les curseurs de dangers présents en germe dans notre société.
Dans la course à la performance, à la rationalisation, à l’informatisation, y aura-t-il encore une place, à l’avenir, pour ceux qui ont fini d’être « utiles » et ralentissent le peloton ? Et que se passerait-il si nous laissions aux calculs froids des algorithmes le pouvoir de gérer la prise en charge de nos aînés?
La réponse que Vincent Engel imagine est glaçante, elle résonne en nous comme une mise en garde. Son livre nous invite à être des citoyens en éveil, qui posent un regard vif sur le monde.

 

L’été sans retour est d’abord l’histoire d’un homme, Pasquale Serrai, de sa famille, de la relation proche et riche de silence qu’il a avec Sandro, le fils d’un des ses amis décédé. C’est aussi l’histoire d’un drame dans le beau village de Ravina qui se blottit dans les collines du sud de l’Italie, la disparition d’une adolescente. C’est encore et surtout l’histoire du rapport des hommes avec leur terre, « les hommes sont indissociables de la nature qui les a vus naître et dont ils sont le portrait le plus fidèle, effrayante de beauté et d’âge ». Giuseppe Santoliquido rend bien ce lien fort, quasi irrationnel, à la terre natale qui est pour plusieurs personnages le fondement de leur rapport au monde, leur raison de vivre, avant les relations sociales ou amoureuses. Ainsi, Pasquale Serrai a connu la misère de l’après-guerre et un bref exil pour raisons économiques en Belgique, mais il est revenu très vite chez lui préférant le travail de forçat d’arracher à la terre sa subsistance à la relative aisance d’un travail dans la sidérurgie. Sandro Lucano a vécu longtemps à Ravina, auquel il reste lui aussi viscéralement attaché. Des années plus tard, il raconte le drame qui a secoué le village et ses propres souffrances. Le roman offre de la vie villageoise un portrait complexe et nuancé. Bien sûr, il y a les rancœurs et les tensions entre personnes et familles, l’insatisfaction des jeunes qui pour la plupart n’aspirent qu’à partir, fascinés par la vie dans les villes que leur révèle la télévision. Et il y a ceux qui, victimes des anciennes fractures sociales les condamnant à la misère, ont lutté toute leur vie pour l’amélioration de leur sort et voient leurs efforts presque anéantis. Mais le village, c’est aussi une vie sociale riche et souvent heureuse, rythmée par les moments de fête. Et puis surtout il y a cette terre, difficile à cultiver, mais pas si ingrate puisqu’elle offre sa beauté particulière. G. Santoliquido situe le roman en 2005, à une époque charnière. Celle où les rêves de mieux-être par un travail agricole acharné laissent place aux mirages que proposent la télévision et les moyens modernes de communication. Le drame que vit le village va d’ailleurs être profondément influencé par la couverture télévisuelle tout sauf anodine, les présentateurs de téléréalité dictant les attitudes et les propos des protagonistes décervelés par les mirages de réussite et de visibilité sociales. Fort de sa connaissance des médias italiens, l’auteur décrit à plusieurs reprises pour les dénoncer les procédés du « mécanisme du spectacle » qui n’illustre plus la réalité, mais s’est substitué à elle. Les valeurs auxquelles s’accroche Pasquale peuvent ainsi paraître périmées. Dans le passé, elles ont été nécessaires à la survie des hommes et du village. Elles sont partagées par Sandro. Si le roman est construit autour de la disparition de l’adolescente, il s’agit d’abord de la mise en avant de l’importance des liens : les liens familiaux, ceux fondés sur la complicité et la proximité que donne la vie dans un même petit village, ceux qui fondent la solidarité lorsque frappe le deuil. Mais tous ne sont finalement que des variations de ce lien fondamental à la terre. Cette problématique apparaissait déjà dans les autres romans de l’auteur, mais elle est ici traitée dans toutes ses implications. Entre autre, est abordée la difficulté pour la communauté villageoise de s’ouvrir à d’autres réalités. Comment est-il possible d’être vraiment soi-même là où tout le monde se fait une certaine image de l’autre ? Cela pousse Sandro dans une voie en miroir de celle de Serrai : tout le pousse à partir, mais il choisit de rester, jusqu’au jour où le départ devient inéluctable, suspendant ce lien vital. Et le paradoxe veut que ce soit la ville qui devienne la garante de sa liberté. Giuseppe Santoliquido revient souvent sur la notion de destin, surtout vers la fin du roman, quand Sandro, le narrateur, tire des enseignements de ce à quoi il a été confronté. Il a le sentiment que « le destin est une bête sournoise, il procède par touches légères, infinitésimales, vous laissant accumuler mauvais choix et petites erreurs… ». D’autant plus quand s’y mêle le sentiment d’une faute commise, faute peut-être non définie mais qui pollue le vécu d’un drame ; à l’image du garçon se reprochant la mort accidentelle de sa mère parce qu’il ne s’est pas levé assez tôt. Dans cette loterie du destin, Santoliquido montre sa sympathie pour deux de ses personnages, chez qui se marque le sentiment d’infériorité des laissés-pour-compte acceptant l’injustice « sans jamais se révolter ». Le roman est émaillé de l’adaptation de délicieuses expressions locales, comme « Vouloir discuter avec le gros Dino, cela revenait à creuser un puits avec un doigt ». Ou d’heureuses formules, parfois graves : « Le danger avec les souvenirs, c’est qu’ils sont souvent l’antichambre des remords », parfois drôles : « Les confidences sont la propriété du vent, il vous suffit de tendre l’oreille où que vous soyez pour les entendre roucouler à la cantonade ». Perplexe devant la complexité des situations, Sandro a cette phrase qui peut résumer son récit : « Aucune pensée n’est jamais totalement juste. Totalement pure. Aucun sentiment ». C’est la conclusion que l’on peut tirer à la fin de L’été sans retour, qui laisse ouvertes les interprétations. Joseph Duhamel

Enfin, le prix « Surprise » des meilleurs rebondissements salue L’été sans retour de Giuseppe Santoliquido (Gallimard) : 

L’été sans retour est inspiré d’un fait divers qui a jeté un village reculé des Pouilles sous la lumière crue des médias.
L’enquête qui sert de trame au roman nous happe, enchaînant les révélations et les retournements de situation. De nombreux thèmes de société traversent le récit, et c’est tout le talent de l’auteur de nous amener à revoir notre jugement sur les personnages, au fur et à mesure qu’ils se révèlent dans leur complexité.
D’une plume habile, Giuseppe Santoliquido nous apprend à ne pas nous fier aux apparences, à laisser la place au doute et à la nuance.