Henri VERNES et Richard COLOMBO, avec des illustrations d’André TAYMANS, La déesse d’Adlerburg, Editions du Tiroir, 2023, 218 p., 18 €, ISBN : 978-2-93102-768-4
En novembre 1942, à Bruxelles, l’Oberssturmführer Otto Bretzzel, de la SS, piaffe d’impatience à l’idée d’aller en découdre en Russie, de s’ouvrir la route du Caucase et des puits de pétrole. Mais le voilà convoqué dans la demeure d’un riche banquier juif, confronté à sa collection d’œuvres d’art et à l’irruption d’Herman Göring himself, qui lui confie une mission vitale pour la victoire du IIIe Reich : acheminer en Allemagne la perle du lot, une extraordinaire statue d’or de la déesse de la nécessité Ananké, flanquée de ses filles, les Moires, en charge du fil de la vie. Et d’une suite de signes cabalistiques, des allures de carte au trésor… Mais, lors du trajet, le convoi mené par Bretzzel, pris en chasse par l’aviation alliée, s’évanouit en amont de Liège, en Belgique.
À Namur, trois quarts de siècle plus tard, John King, alias Don, « petit-fils en fuite du capo de tutti capi, le grand patron de la mafia aux États-Unis », se voit à son tour imposer une mission, retrouver ladite statue, qui serait convoitée par une organisation secrète vouée au culte nazi et au rétablissement du Reich. Direction le château d’Amaury le Mosan, chevalier du 12e siècle, en Wallonie, puis celui d’Adlerburg, en Allemagne.
Direction, surtout, l’aventure. À tout crin. Mystère et action. Violence et érotisme. Avec cette sensation que… Mais oui, bien sûr. La déesse d’Adlerburg ressemble à du Bob Morane, fond et forme, avec une écriture mêlant recherche et clichés, femmes fatales, vilains sbires et savants fous, etc. Sauf que… On dirait un pastiche. Un Morane beau et athlétique soit, buriné par les voyages aux quatre coins du monde et la castagne, soit, mais loin du virginal chevalier de la Table ronde. Il tue allègrement ses ennemis, traîne des racines nauséeuses et ne peut jamais s’installer durablement quelque part, sans cesse pourchassé par des tueurs… et son énigmatique employeur Imporex. Surtout, ce Bob-là, il tire sur tout ce qui bouge. Dans tous les sens :
En détaillant sa silhouette, en particulier la courbe de ses fesses et le galbe de ses seins qui tendaient la combinaison, il se dit qu’il aurait bien arraché tout ce tissu pour la prendre là, sur le sol de la salle. (…) Il aurait voulu n’être qu’une bouche et un sexe, ou plutôt plusieurs bouches et plusieurs sexes pour ne négliger aucun centimètre de son corps.
Le pastiche est encore creusé par un détail physionomique. Don est sans cesse présenté comme « l’homme aux yeux de schiste », formule qui fait écho (détourné) à la nyctalopie du Morane initial.
Il est temps d’abattre les cartes. Ce roman s’inscrit dans une suite de livres écrits par… le père de Bob Morane lui-même. Henri Vernes a un jour souhaité pouvoir s’éclater, ce qu’il a assimilé à la possibilité d’exploser toutes les barrières infligées par la censure franco-belge. D’où un Don qui semble parodier Morane alors qu’il correspond à une évasion/libération de son créateur.
Des livres pour les anciens lecteurs de Bob Morane devenus adultes ? Sans doute pour une part d’entre eux. Qui retrouveront une fluidité de narration, une vivacité d’écriture, un plaisir du mot couplé au suspense. Mais Henri Vernes, avec son Don, fuit à gauche (les limites imposées par l’édition des années 50/60) ce qu’il recoupe à droite (ses propres limites ?). Un gourmet regrettera qu’un auteur qui a enchanté bien des jeunesses n’ait pas osé, rassasié par la réussite commerciale et populaire, livrer de vrais romans adultes, des thrillers littéraires, avec des personnages plus affirmés et contrastés, une vision du monde et des rapports humains plus raffinée.
Mais ne boudons pas le plaisir des retrouvailles avec notre jeunesse. Lâchons prise ! Comme lors de la vision d’un James Bond. Et laissons filtrer un moment d’émotion. Car La déesse d’Adlerburg est un titre butoir, « le dernier roman d’Henri Vernes » selon la couverture, entamé vers ses cent ans mais laissé inachevé, selon la préface. Richard Colombo a donc repris ce qui était déjà rédigé et suivi les indications du maestro pour parachever son « chant du cygne » avec efficacité, livrer un récit sans temps mort, soutenu par les illustrations, nombreuses, d’André Taymans, le talentueux auteur de la série BD Caroline Baldwin.
Philippe Remy-Wilkin