Retrouvailles avec une famille commune

Un coup de cœur du Carnet

Olivia MOLNAR et Aldwin RAOUL, Atlas des plantes de mauvaise vie, Hélice Hélas, 2023, 72 p., 24 €, ISBN : 9782940700264

molnar atlas des plantes de mauvaise vieL’Atlas des plantes de mauvaise vie est présenté comme un « herbier de l’infra-ordinaire » en écho au travail de Georges Perec. 31 plantes vernaculaires s’y déploient, ayant en commun la  particularité de grandir à l’état sauvage dans les rues de Bruxelles, mais aussi partout dans les villes du Nord de l’Europe. Elles sur-vivent entre les pavés, dans les anfractuosités des trottoirs, sous le béton qui, banalement, nous encercle de toute part. En prenant le temps de s’arrêter sur leurs existences, les artistes Olivia Mornar et Aldwin Raoul s’attèlent à montrer la richesse du lexique dans lequel les plantes apparaissent. Cette richesse est un tremplin pour activer notre imaginaire végétal, et rappeler à notre mémoire les mythes, les histoires et les légendes que les plantes véhiculent. À chaque plante est reliée une recherche minutieuse dans des grimoires, des livres savants et autres trésors les consignant, les protégeant. On y redécouvre que les plantes ne sont pas seulement de mauvaises herbes insignifiantes et invisibles. Elles sont surtout des « compagnonnes discrètes » de l’humanité. Majoritaires sur la planète et il est plus que temps d’en parler, de leur accorder de l’attention et du soin, pour voir le monde autrement, pour déplacer et transformer notre rapport à la ville, à la nature, à l’humanité.

Comme une balade au fil des pages et par arpentage, se dévoile la Grande Chélidoine qui a comme noms vernaculaires : une grande éclaire, une herbe à verrues, une herbe de l’hirondelle ou encore du lait de couleuvre. On y apprend qu’elle n’a rien à voir avec une hirondelle, que sa floraison annonce le retour des hirondelles au printemps. Avec le dérèglement climatique, Aldwin Raoul évoque avec humour une nouvelle appellation possible, la Grande Pingouine, sa floraison coïncidant avec la migration des pingouins. On comprend qu’elle est l’amie des fourmis et qu’elle pratique un mode de dispersion ingénieux appelé « myrméchorie » pour que tout le monde puisse en profiter! Plus loin, sont épinglées l’ortie dioïque et l’ortie brûlante. Leur pouvoir urticant est rappelé à notre mémoire enfantine – “Pousse pas bobonne dans les orties”. Elle fut recherchée pour ses pouvoirs homéostatiques puissants, ou comme fertilisant en purin, ou encore pour tisser. On rencontre le personnage de Ötzi, la momie retrouvée dans les Alpes, âgée de 5320 ans, et qui portait une dague en silex avec un fourreau en ortie. 31 plantes, ça n’est pas énorme, et pourtant on se rend compte rapidement de notre connaissance si limitée. Cet Atlas a pour bienfait de nous reconnecter avec le végétal sans éprouver le moindre complexe. Il est fait pour tous les âges et tous les moments de la journée, à toutes occasions. On conseille vivement de le mettre en évidence dans son chez-soi, surtout avec le retour des beaux jours, car en quelques minutes (ou plus c’est selon), on s’instruit, rêve, partage ce savoir, on le fait sien, on se souvient.

La lecture trouve son rythme par un agencement des planches mêlant délicatement les éléments d’un herbier classique au livre illustré, avec des éléments plongeant dans les histoires atypiques et magiques de ces végétaux. À la fin de l’ouvrage, on retourne au début, ou au milieu, ou à la fin, on n’en a jamais fini, comme ces plantes qui reviennent inlassablement saison après saison. On espère aussi secrètement qu’un second volume suivra ce premier opus, pour nous faire découvrir, et chérir, les innombrables plantes, présentes et inconnues, de notre quotidien.

Mélanie Godin