Onze Bruxelles, notre Brüssel, novembre 1918

Philippe REMY-WILKIN, Onze Bruxelles, Samsa, 2023, 106 p., 18 €, ISBN : 978-2-87593-450-5

remy wilkin onze bruxellesAprès avoir situé son avant-dernier roman, Les sœurs noires (éd. Weyrich, coll. « Plumes du coq ») dans la ville de Tournai, Philippe Remy-Wilkin nous fait découvrir Bruxelles à l’occasion de la sortie de son dernier livre, Onze Bruxelles, aux éditions Samsa avec lesquelles il a déjà publié plusieurs ouvrages. Et pas n’importe quelle Bruxelles ! Il saisit la capitale belge durant quelques jours du mois de novembre 1918, neuf journées pour être précis durant lesquelles l’occupant allemand a compris que la défaite est actée et prépare son départ. À l’image de la photo de couverture, il s’agit d’une période trouble, entre nuit et brouillard, craintes et espoirs, ombres et lumières.

Sur le plan narratif, Philippe Remy-Wilkin propose un double récit : d’abord, celui qui constitue la trame principale dans le sillage de son personnage, Valentin Dullac, qui a connu le légendaire Roi Albert dans les tranchées et qui a été mandaté par ce dernier pour approcher les diverses autorités de la capitale ; ensuite celui d’une sorte de voix off, en italiques, qui resitue le contexte historique, sans oublier un troisième niveau de lecture, celui de notes infrapaginales, essentiellement consacrées à la topographie et à quelques éléments d’architecture de l’époque.

L’essentiel reste la destinée de son personnage principal, Valentin Dullac, personnage déjà rencontré dans L’œuvre de Caïn (2012, Le Cri éditions) et qui sert de fil rouge à une saga qui tiendra sur quatre tomes. Novembre 1918 représente un tournant, marqué par des heures tourmentées d’un point de vue politique et militaire, mais également dans la vie intime de chacun et chacune. C’est ainsi que Valentin Dullac, alors qu’il essaie de circonscrire avec précision les forces en présence pour éviter des exactions et un bain de sang final inutile, tente également de retrouver la trace de ses parents, les Dullac de Sainte-Marie, dont le rôle pendant le conflit n’a pas été d’une grande clarté.

Ces neuf journées de novembre 1918 sont autant de pages méconnues de l’Histoire belge, mais aussi allemande, que l’auteur nous restitue ici avec sa verve habituelle. Car si ces journées sont traversées par les tensions, voire les malversations propres à chaque fin de guerre avec son lot de joies et de règlements de compte, elles sont aussi le point de bascule entre une ère aristocratique et des espoirs républicains, en particulier outre-Rhin et pour partie chez nous également. C’est ainsi qu’au cœur même de la capitale, des tirs sont échangés entre Allemands, officiers contre soldats, Empire contre République. Valentin Dullac, le personnage central, a de la sympathie pour certains de ces Allemands comme le docteur Hugo Freund, 28 ans, juif et socialiste qui harangue les troupes et la foule dans la foulée de l’avènement de la République, ou l’écrivain Carl Einstein, membre de Claire Colline, une colonie littéraire germanique installée à La Hulpe. C’est ainsi que l’on voit se rapprocher des socialistes belges et des socialistes allemands, qui ne savent plus trop bien s’ils doivent se considérer comme ennemis ou alliés. Dans le cadre de sa mission, Valentin rencontre des personnalités dont le nom résonne encore dans la topographie bruxelloise d’aujourd’hui : Émile Francqui, du comité national de Secours et d’Alimentation, Paul-Émile Janson, avocat et député de Tournai, le bourgmestre Adolphe Max suite à son retour de captivité, son cousin Paul Max qui, dans son Journal de guerre (publié à titre posthume en 2006 par les Archives de Bruxelles), tient la chronique de la vie quotidienne dans Bruxelles occupée, les socialistes Vincent Volckaert ou Émile Vandervelde ainsi que… le Roi Albert lui-même.

Au début et de manière récurrente durant tout le récit, c’est un véritable cri du cœur que Philippe Remy-Wilkin exprime à l’égard de Bruxelles tourmentée, Bruxelles libérée, à travers la ritournelle « Onze Bruxelles. Notre Brussel. Son objectif. Sa mission et autre chose. Beaucoup d’autres choses. » ; « Onze Bruxelles. Notre Brussel. Celui de tous, néerlandophones et francophones, pauvres et riches, croyants et non croyants. Onze Bruxelles ! » ; « Onze Bruxelles. Notre Brussel. Ici. Maintenant. Et pour toujours. »

Michel Torrekens

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