André Stas, ou apprendre à laisser

André STAS, Je pensai donc je fus. Aphorismes complets 1993-2023, Cactus Inébranlable, 2023, 388 p., 24 €, ISBN : 978-2-39049-078-4

stas je pensai donc je fus« Le temps d’apprendre à vivre, on est mort de fatigue. » « Jadis, je disais ‘Je vais mourir un jour’, maintenant ‘un de ces jours ». Et fidèle à lui-même, entêté jusqu’à l’os, c’est ce qu’a fait André Stas, qui a rompu les amarres le 26 avril dernier, ou si l’on préfère, s’est « définitivement occulté » (soit le 7 Palotin 150) pour ceux qui partagent avec lui les préceptes aussi sérieux que dérisoires du Collège de ‘Pataphysique. Avant de prendre le large vers le grand rien et de laisser désemparés tous ses proches et ses ami/es, ce grand manipulateur des images et des mots, collagiste très tenté et praticien graphomaniaque des causes désespérées, eut néanmoins le temps de signer un dernier bon à tirer : celui de Je pensai donc je fus, une anthologie presque complète de ses aphorismes, édités entre 1993 et 2023, et regroupés de son vivant au Cactus Inébranlable.

On a souvent perdu de vue que Stas, « homme de lettre morte… », fut le récipiendaire, en 2009, du Grand prix de l’humour noir Xavier-Forneret, pour son roman (autour des Fous littéraires chers à André Blavier) Entre les poires et les faux mages, paru aux Éditions des Cendres. Car l’homme – dont Le Carnet a régulièrement rendu compte des nombreuses publications – avait plus d’un porte-plume à son chapeau, lui qui toujours s’enchantait d’imaginer de nouvelles contraintes d’écriture oulipiennes, pissait de rire à force de détourner les formes canoniques de la poésie classique – du rondel au sonnet, de la rime riche au quatrain du pauvre –, prenait un plaisir pantagruélique à créer les définitions les plus insolubles aux grilles de mots croisés, ou encore, réinventait par pure jouissance intellectuelle, façon Raymond Roussel, le livre que Georges Perec, peut-être, n’aurait jamais réussi à écrire.

L’aphorisme, et l’humour souvent noir qui en est le jus, Stas était tombé dans sa marmite, dès que Louis Scutenaire, l’auteur de Mes Inscriptions (titre en hommage au non moins passionnant Restif de la Bretonne) lui en eut soulevé le couvercle et montré tous les appâts : sentences toutes simples, pensées furtives du quotidien le plus banal, jeux de mots tantôt gauches, tantôt fulgurants, brèves de comptoirs, associations automatiques et retournements de situations. Toutes ces choses aussi qu’offre le plaisir de la (re)lecture d’autres écrivains et que Stas, dans la filiation régulière de Scutenaire, incorporait à sa sauce, au beau milieu de ses aphorismes à lui. Là aussi, tout faisait farine au bourrin, « citations interpellantes, découvertes livresques, petits poèmes biscornus, blagues idiotes, variations homophoniques tordues, considérations éberluées… etc. »

Que le dernier livre que Stas ait vu paraître de son vivant soit un ensemble de ses aphorismes n’est pas dénué d’humour vert, ni de la saveur que l’on éprouve à dénicher un coin de forêt où prolifère une myriade de morilles ou de bolets. En mycologue devenu averti (« bien meilleur que Jean-Christophe », raillait-il) Stas le spadassin tirait régulièrement son chapeau au savant suédois Elias Magnus Fries qui en dressa les nomenclatures. Il soutenait avec vigueur (et une mauvaise foi joyeuse) que la science de l’aphorisme n’était rien (ou presque) à côté de la science mycologique, feignant d’oublier du coup les enseignements du Collège de ‘Pataphysique. Chronologiquement parlant, on ne peut non plus ignorer que Stas, romaniste distingué de l’Université de Liège au début des années 1970, avait rédigé un mémoire sur les aphorismes d’Achille Chavée, personnalité qui, comme tout écrivain surréaliste n’était pas vraiment en odeur de sainteté littéraire et politique au sein des institutions académiques d’alors.

Stas, dézingueur de première volée, a apporté la folie délirante de ses Grenailles errantes à cet édifice existentiel et littéraire que furent en Belgique (et chez les surréalistes principalement, Scutenaire, Chavée, Havrenne, Van Bruaene, Mariën…) l’aphorisme et la forme brève. Un bref aperçu avec cet échantillon nominatif :

A rester dans le confiné, on devient un con fini.
Ni préservatif ni contraceptif, radote au Vatican le Souverain Poncif.
De la taille de guêpe le dard n’est jamais loin.
Rare, le don d’Ubu cuité n’est pas à la portée de toutes les gidouilles.
Elle était si appétissante que je pris ses jambes à mon cou.
Si mon humour est noir, c’est pour éviter que mes idées ne le soient.
Tout classement vous apprendra qu’il faut laisser une place au hasard.
A force de nous bercer, les illusions nous endorment.
Sortez de votre léthargie. Écrivez vous-même un aphorisme.

La boucle est bouclée : « Une fois qu’il a fait le mur, on ne voit plus le maçon. »

Alain Delaunois

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