De l’élancement

Françoise LISON-LEROY, Les éjointés, Rougerie, 2023, 12 €, ISBN : 978-2-85668-422-1

lison-leroy les ejointésOn est des vôtres
ceux qui cavalent sans prénom
sans le souffle des dieux
 

Au titre aussi évocateur qu’implacable, le nouvel opus de la poétesse Françoise Lison-Leroy (publié aux Éditions Rougerie) traverse les nuances de l’envol à partir de la brisure. À l’inverse de la pratique de l’éjointage, consistant à couper un bout de l’aile des oiseaux pour entraver leur vol, les mots de la poétesse quittent la terre ferme pour s’élancer dans une « musique au champ libre ». Les éjointés sont tous ceux auxquels blessure a été infligée et qui tentent, tant bien que mal, de continuer à mettre une aile devant l’autre.

Divisé en cinq sections – « Vert poison », « Nuit sans frein », « Passereau fourbu », « Lettre d’ici / la Rouge », « Ce mouvement ruisselant » – ce recueil emprunte à l’oiseau son mouvement dans l’espace, à la nature ses cycles. Au contraire du recueil Nid récemment publié (Esperluète) de la même poétesse, la langue poétique ne se déploie pas en récit, elle est davantage lacérée, figurant le vol comme la blessure de l’éjointé.

Après l’effroi
l’ample repos
                        sa couette originelle

Brindilles
bouillie de mousses et d’onguents
pour un bain
                                    salvateur
 

La première partie, « Vert poison », certainement la plus écorchée du recueil, sonde les linéaments d’une violence insidieuse, entre ricanements et venin – et son dépassement : le « printemps ventre ouvert ». À la noirceur, « Nuit sans frein » oppose un jeu de couleurs tendu vers la lumière, puise dans l’aquarelle sa force de douceur.

« Lettre d’Ici », dédiée au peintre Christian Rolet, réduit en brindilles l’idée même de territoire, redistribue les frontières entre ici et là, prise les rives, préfère le chemin à la destination. La dernière partie, « Ce mouvement ruisselant », dédiée au poète Joseph Delteil, est taillée dans la même forme que « Lettre d’Ici » : des barres obliques, loin d’entraver le verbe, scandent son déploiement.

C’était toi / ce mouvement ruisselant / cette fugue au long cours / à travers sables et ondées / l’infini nous brassait / en creux comme en volutes 

Les éjointés est un recueil doux amer, à la jointure de la brisure et de la douceur. Aux lignes de vie brisées, il oppose, sur la page, de tendres envolées.

Charline Lambert

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