From Nora with love

Geneviève DAMAS, Strange, Grasset, 2023, 177 p., 18,5 €, ISBN : 978-2-246-83497-7

damas strangeAprès plusieurs mois sans l’avoir vu, Raphaël s’apprête à recevoir la visite de son père. Ces retrouvailles, il les appréhende. Non pas qu’il n’ait pas envie de le voir, loin de là. Seulement, le voilà obligé de révéler ce qu’il lui a caché jusqu’ici. Ou plutôt ce qu’ELLE lui a caché. Car ce que le père ignore encore, c’est que c’est en fait Nora, sa fille, qu’il va rencontrer. Raphaël n’a pas seulement quitté Arlon pour Bruxelles, il a également dit au revoir à une identité et une apparence auxquelles il se sentait étranger, pour faire connaître au monde la femme qu’il s’est toujours senti être, celle qu’elle est désormais : Nora.

J’ai réfléchi. À quoi me servirait un appartement si, où que je sois, je me sens à l’étranger ? L’argent de Maman servira à me façonner le corps de la femme que je suis. 

Jusqu’à présent, incapable de lui parler de sa transition, Nora reprenait le costume de Raphaël pour voir son père. Mais désormais, il n’est plus possible de cacher les transformations physiques. Alors, pour éviter qu’il ne les découvre de ses propres yeux, sans préparation, elle lui écrit une lettre pour tout lui expliquer : les souvenirs d’enfance, les difficultés à trouver sa place, la musique comme refuge, la recherche et la découverte d’elle-même, les rencontres qui comptent et l’amour qu’elle n’a jamais cessé de lui porter.

Strange, c’est cette lettre. Cette longue lettre où Nora raconte son parcours, depuis le début. Le récit de sa transition. Au fil des pages, le héros se révèle héroïne. Au fur et à mesure qu’elle prend de la distance avec Raphaël et le cadre qu’elle subit, Nora apprend à vivre pour elle-même, à s’écouter. À s’écouter et à s’exprimer. À faire entendre sa voix, celle qu’elle a apprivoisée pour qu’elle lui corresponde. À oser exister pleinement. Grâce à la musique notamment, au chant plus précisément.

Nous entrons dans la lumière, j’entends les premières notes de guitare. J’ouvre la bouche, l’angoisse disparaît, je sens le public à mes côtés et je comprends que, sur scène, rien de mauvais ne peut m’arriver. 

Si cette chronique utilise les deux genres et cite, en plus de son prénom, le deadname du personnage principal, c’est que le roman passe peu à peu de l’un à l’autre, en douceur. Il n’est pas question d’en faire deux êtres distincts mais bien de montrer son évolution progressive. Puisque la narratrice ne veut pas brusquer son père, elle avance à petits pas, racontant son histoire en détails, dans le style sobre et captivant que maîtrise Geneviève Damas. Comme dans Jacky, l’autrice se saisit d’un sujet actuel complexe et en fait à nouveau, à la première personne, un roman documenté, prenant, empreint d’empathie et de sensibilité.

Estelle Piraux

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