Gracias a la vida

Un coup de cœur du Carnet

Hubert ANTOINE, Danse de la vie brève, Impressions nouvelles, coll. « Espace Nord », 2023, 260 p., 9 €, ISBN : 9782875685872

antoine danse de la vie breveEst-ce un fait propre à notre paysage belge francophone ? Des auteurs, pleinement reconnus comme poètes, sont nombreux à évoluer avec succès dans le monde du roman, que l’on songe à Lisette Lombé ou à Antoine Wauters pour ne citer qu’eux. Tel fut le cas aussi en 2016 d’Hubert Antoine, qui décrocha d’emblée le prix Rossel pour Danse de la vie brève, aujourd’hui réédité dans la collection Espace Nord. À ce moment, il a déjà à son actif six recueils poétiques, dont deux couronnés par des prix littéraires, et un premier ouvrage publié en 2006 chez Verticales, Introduction à tout autre chose,  qui relate les événements en cours à Oaxaca (Mexique) et amorce précisément la démarche poursuivie dans le livre aujourd’hui remis en lumière.

Si le Mexique est au centre de ce roman, ce n’est pas par hasard. L’auteur y a vécu déjà vingt années au moment où paraît le roman qui nous occupe. Installé à Guadalajara, il y a ouvert un restaurant et créé un pôle d’animation culturelle. Son récit s’articule autour du destin de Melitza, de son père et d’Evo, un vagabond mystérieux qu’elle a accueilli chez elle et dont elle ne saura rien de plus que nous pendant longtemps. Serveuse dans un bar, elle mord la vie à pleine dents, ne manquant aucune occasion d’affirmer sa liberté et son charme dans un monde dominé par le machisme. Elle a perçu qu’Evo n’était pas du lot, comme son père qui l’entoure de son affection, lui dont la vie est guidée par la recherche de la beauté et de l’authenticité. Mais la vie de la jeune femme sera bouleversée par un contrôle policier d’une brutalité inouïe au cours duquel elle est violée par les pandores, que son père n’hésite pas à tuer sans attendre. Il ne leur reste qu’à fuir au loin et elle entame un long processus pour retrouver le goût de vivre entourée des deux hommes qui se montrent d’une délicatesse extrême. Alors que le futur s’ouvre à nouveau à eux, ils se trouvent plongés dans l’insurrection d’Oaxaca où le destin de la jeune femme sera brisé cette fois.

Dans ce roman marqué à vif par la violence du monde des hommes aveuglés par le pouvoir, on ne peut qu’être impressionné par l’énergie vitale qui s’en dégage et qui triomphe de la réalité la plus sombre. Ceci tient bien sûr au personnage solaire de Melitza et à la stature hors du commun des deux hommes qui l’entourent. Nourri des carnets laissés par la jeune femme, le récit nous dit son désarroi et ses espoirs, sa lente reconstruction au cours de laquelle elle réapprivoise peu à peu son propre corps. Solaire est aussi l’écriture d’Hubert Antoine qui séduit par sa fluidité, sa charge poétique et son humour, qui unissent leurs efforts pour transcender les réalités les plus sordides. Sans oublier les élans de fraternité et de solidarité qui portent les attentes légitimes du peuple mexicain, que l’auteur connaît si bien, et les trois personnages de ce roman.

Comme à l’accoutumée, cette réédition en Espace nord contient une postface éclairante, signée ici de la plume de Geneviève Fabry qui resitue l’œuvre dans son contexte, nous propose des clés de lecture subtiles et des informations sur le parcours de l’auteur. De quoi permettre à un public plus large de (re)découvrir un roman qui a suscité un enthousiasme justifié dont on rappellera utilement qu’il a trouvé un prolongement dans Les formes d’un soupir, paru en 2021, confirmant la stature du poète dans ses habits neufs de romancier.

Thierry Detienne

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