Comme poussé par des courants contraires

Marc MEGANCK, Vert atlantique, F Deville, 2023, 226 p., 20 € / ePub : 13,99 €, ISBN : 9782875990785

meganck vert atlantiqueFidèle désormais aux éditions fDeville puisque ce Vert atlantique constitue le troisième livre qu’il publie chez l’éditeur bruxellois, Marc Meganck, une nouvelle fois, nous surprend par sa capacité à nous entraîner, dès les premières pages, dans son sillage. L’aisance dans l’écriture, la structuration fluide du récit, la manière qu’il a de croquer en quelques coups de plume, un personnage, une situation et l’époque font de ce roman, qui se déroule dans un futur proche, un livre que l’on ne quitte pas. Indécrottable citadin, passionné par l’urbanisme et l’architecture, historien de formation, l’auteur nous emmène sur les traces d’Alex Larsen. Petit fonctionnaire d’un sombre département du ministère, il est notamment  en charge du dépouillement de dossiers émanant des Assemblées de Vérification de Constructibilité dont l’acronyme, « A.V.C. », suffit à lui seul à résumer le désabusement dans lequel le plonge sa situation.

Les journées au ministère défilaient sans consistance, au son de la pointeuse annonçant mes arrivées le matin et mes départs le soir, mes fuites dans le centre-ville à l’heure de midi, loin de mes collègues, loin de ce que j’étais devenu. J’avais honte de ce petit destin professionnel. Aucune ambition. Ni rêve ni envergure. J’étais comme figé, incapable de me sortir de cette vase. Le flot des « A.V.C. » était une rivière au courant puissant que rien n’arrêtait.

Nous sommes en 2035, les canicules se multiplient à travers le monde, les villes sont devenues des fournaises. Bientôt, il ne sera plus question de voyager par avion, « le prix des billets s’est envolé haut, très haut dans la troposphère ». Pour Larsen, les attaches se délitent, un père absent, une mère dont il n’a plus de nouvelles depuis qu’elle a rejoint une secte alors qu’il n’avait que 18 ans et une histoire d’amour avec Fauve qui s’enlise dans l’incommunicabilité. Comme poussé par une nécessité d’ailleurs, notre fonctionnaire prendra un dernier vol, un aller simple vers une petite île des Açores où il deviendra jardinier. Mais l’herbe est-elle vraiment plus verte ailleurs ? Même si ce vert est atlantique ?

meganck l'intuitionCette question de l’échappement, cet aller-retour entre ville et insularité, l’auteur l’avait déjà esquissée dans une nouvelle, L’intuition, parue en 2018 aux éditions Lamiroy. C’est aussi en quelque sorte le déplacement qu’entreprend le héros de son précédent livre Le jour où mon père n’a plus eu le dernier mot (2022).

Qu’est-ce qui pousse au fond notre sage Alex Larsen à prendre le large une bonne fois pour toutes ? L’ensablement des villes et du continent sans doute, la couleur de la sécheresse qui fait écho à celle tout aussi aride de ses élans, de ses aspirations. Scandé par cette couleur verte qui tend à disparaître des paysages, le roman se déploie autour de l’ultime volonté du personnage à se tourner, tel un héliotrope désespéré, vers « la palette des verts comme sur le tableau de Paul Klee, Vert dans verts. » Sursaut de celui qui se sent condamné, acculé !

À cela, s’ajoute l’oubli des vertes années, insouciantes, auxquelles répond, abrupte et dure, l’impossibilité atavique de se projeter dans un avenir familial ; Alex tentera, au fil de la narration, d’aller à contre-courant de ces fatalités. Chez Marc Meganck, rien n’est jamais ni tout à fait perdu ni complètement acquis. Les sentiments, les émotions s’entrechoquent et l’aveu de l’incapacité d’écrire parfois surgit dans « le champ de bataille lexicale » où se débat le narrateur. Mais dans cette gabegie d’un monde balayé par les vents des contestations, dans une société qui s’oublie et s’efface, l’auteur lui n’oublie pas d’ironiser, raillant au passage quelques travers d’une époque en proie aux excès de légitimité à l’instar des tenants de la bien-pensance, du bien-être, des low-tech ou de l’inertie administrative.

Quant à Larsen, la rencontre avec Guillermo, jeune enfant muet originaire de l’île, sera l’occasion de renouer avec l’espoir. À deux, ils profiteront, complices, de l’espace insulaire encore préservé (mais pour combien de temps ?) pour ordonner les échos verdoyants du passé, de l’enfance qui ressurgiront au moment même où ils se décideront à classer la flore de l’île dans un herbier.

Un herbier ! Pourquoi ne pas y avoir pensé plus tôt ? Voilà qui pourrait plaire à Guillermo, l’occuper cet été, l’aider à oublier que les autres gamins le snobent, nous lier peut-être. Je passe mes journées à couper l’herbe et mes soirées à lire une littérature précise sur la végétation de l’archipel. L’herbier est la synthèse logique de mes kilomètres sur la route et des centaines de pages que je tourne quand le soleil est couché. Une collection de plantes séchées, soigneusement préservées entre les feuillets d’un cahier… J’ai dû faire ça à l’école quand j’étais enfant, même si je n’en ai aucun souvenir.

Rony Demaeseneer

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