Françoise DUESBERG, Belgiques. Les silences et la mer, Ker, coll. « Belgiques », 2023, 129 p., 12 € / ePub : 6,99 €, ISBN : 978-2-87586-444-4
La collection « Belgiques » des éditions Ker poursuit son auscultation d’un pays multiple, à travers le regard et les mots d’écrivaines et d’écrivains belges francophones. Cet automne encore, quatre nouveaux volumes viennent enrichir la série. Le Carnet et les Instants a déjà évoqué ceux de Juan d’Oultremont, d’Evelyne Guzy et de Bernard Tirtiaux. Le quatrième, signé par Françoise Duesberg, est sous-titré Les silences et la mer.
« Belgiques » est une collection de recueils de nouvelles. Avec Les silences et la mer, Françoise Duesberg s’empare avec inventivité de ce cahier des charges et explore les possibles d’un genre qui se prête aux traitements les plus variés. Elle livre ainsi quinze textes brefs, chacun centré sur l’un des membres d’une même famille, de générations différentes et prenant la parole à des époques diverses. Toutes les nouvelles sont écrites en « je » et « tu », le protagoniste et narrateur s’adressant qui à son père, qui à sa tante, qui à son arrière-grand-père. Ces interlocuteurs réapparaissent dans d’autres textes et le puzzle du clan se construit petit à petit.
Là première et l’ultime nouvelles sont des adresses de « l’auteure » à Fanny, personnage axial du recueil. Son identité est rapidement précisée : « tu n’es pas moi, mais tu pourrais l’être ». Fanny, alter ego de papier de Françoise Duesberg, donc, que l’on suit de l’enfance aux derniers instants de sa vie, mais alter ego imparfait : « Fanny, ma chérie, je t’ai créée à mon image, tu me ressembles beaucoup, mais tu m’as souvent échappé, prenant ta liberté et menant ton existence de personnage de fiction ». Par ce dispositif original, l’autrice transmue un recueil de nouvelles en une saga familiale et déploie l’histoire de ses personnages sur le temps long.
En un bel exercice d’équilibriste, elle préserve néanmoins le caractère « mosaïque » qui est le cœur de la collection Belgiques. Tous les textes qui composent le recueil sont en effet autant d’instantanés, non-chronologiques, d’épisodes essentiels, à défaut d’être toujours glorieux, de l’Histoire belge des 20e et 21e siècles : la colonisation, les deux guerres mondiales, les Trente glorieuses, l’Expo 58, jusqu’aux très récents confinements et inondations qui ont ravagé la Province de Liège. Les différentes époques se dessinent aussi par le rapport à la langue française : les parents de Fanny traquent méthodiquement les belgicismes dans la bouche de leurs enfants, une obsession normative que ne partagent ni les générations précédentes, ni les suivantes.
Bondissant d’une époque à l’autre, Françoise Duesberg égrène aussi les lieux de sa Belgique, de Bruxelles (Uccle, Forest) à Verviers – où l’on croise un André Blavier encore jeune bibliothécaire – en passant par la mer du Nord (qui, à en juger par sa récurrence dans les volumes de la collection, est assurément l’un des hauts-lieux de l’imaginaire belge). Et l’étranger, aussi, tant le livre est marqué par la tentation de l’ailleurs et du départ.
Le recueil aborde l’Histoire par le prisme d’une lignée (relativement) aisée et progressiste ; il laisse ainsi hors champ les questions sociales et sociétales qui, pour avoir marqué le siècle, n’ont pas directement concerné ses personnages. Les quinze récits s’attachent surtout à peindre les tensions et bonheurs qui rassemblent les générations et les fratries, mais aussi les non-dits et les secrets de famille découverts par de vieilles correspondances laissées dans les greniers – tous ressorts dans lesquels lectrices et lecteurs retrouveront, peu ou prou, leur propre histoire.
Nausicaa Dewez