Magritte commenté par ses amis, Textes choisis et présentés par Paul Aron, postface de Sémir Badir, Impressions nouvelles, coll. « Espace Nord », 2024, 234 p., 10 €, ISBN : 978-2-87568-602-2
Émile Zola écrivant sur Manet et sa peinture (1867), Camille Lemonnier s’attachant à l’art de Courbet (1878) ou de Félicien Rops (1908), Émile Verhaeren publiant la même année une monographie consacrée à James Ensor, Apollinaire défendant Picasso et Les peintres cubistes en 1913, Aragon célébrant Henri Matisse, roman… Depuis la fin du 19e siècle et jusqu’à aujourd’hui, les écrivains et poètes n’ont pas manqué d’accompagner des artistes qu’ils admiraient, dont ils partageaient certaines convictions esthétiques ou approches idéologiques, et qui parfois, furent également leurs amis. Régulièrement, ce qui peut relier l’écrivain à l’artiste, c’est l’intime conviction chez le premier que le second ouvre des voies nouvelles à une pratique picturale ou artistique, l’incline vers des orientations inédites, et qu’il y a là quelque nécessité à expliciter, sinon à faire découvrir par un plus large public, la réalité – et les qualités – de ces artistes, très souvent moqués, ridiculisés ou injuriés à leurs débuts. Dans ce cadre, ce qui commence par un commentaire quelque peu artistique et sympathisant à destination d’un journal, voire d’une revue plus ou moins confidentielle, peut se muer bientôt, la confiance mutuelle aidant, en un essai plus approfondi.
L’anthologie Magritte commenté par ses amis, dont les textes sont choisis et présentés par Paul Aron, et postfacés par Sémir Badir, vient à son heure pour le rappeler. René Magritte n’a pas échappé aux attaques les plus basses, les plus ignorantes – ni même les plus dangereuses, sous l’Occupation, dans la presse belge inféodée au nazisme. Durant près de trois décennies, depuis les débuts de son œuvre surréaliste et pratiquement jusqu’à la fin des années 1950, ses expositions et son univers, associant des images, des mots, des objets, des situations rarement présentées dans une peinture aussi provocante que lisse d’aspect, ont suscité raillerie, scepticisme, indifférence, ou complète incompréhension de ses contemporains. Le mot « surréalisme » lui-même, qui lui était à juste titre accolé, n’a fait qu’encourager les à-peu-près et les dénigrements. On ne peut nier toutefois qu’il existe dans les nombreux et instructifs écrits du peintre[1] des formulations parfois confuses et alambiquées sur sa peinture, qui relèvent davantage de l’introspection sourcilleuse et des jeux d’échecs personnels, que de révélations sur les énigmes réjouissantes de ses tableaux. Mais faut-il vraiment s’en plaindre ?
Car dans le cas de Magritte (et de la singularité des activités surréalistes en Belgique), le peintre a bénéficié de la complicité d’écriture d’un noyau relativement constant d’amis et de fidèles – en dépit de brouilles et de raccommodages –, dont le premier d’entre eux fut Paul Nougé. « L’homme qui a le plus attentivement dégagé le sens de (ses) peintures », selon Louis Scutenaire, autre soutien indéfectible du peintre, qui ajoutait : « N’oublions pas que c’est pour ce qu’ils avaient d’éternel qu’un Balzac ou un Baudelaire furent honnis par leurs contemporains ». La précision vaut autant pour Nougé que pour Magritte.
On sait de longue date combien les soirées amicales autour des tableaux du peintre, donnaient lieu à des échanges, à des recherches de titres, à de nouvelles corrélations entre tel ou tel tableau, à la création de variantes. Cette anthologie ciselée rassemble donc une série d’écrits qui, du collectionneur, galeriste et mécène Paul-Gustave van Hecke fin des années 1920 à Marcel Mariën, complice de tous les coups et éditeur, trace « la ligne de vie » artistique du peintre, en esquisse les parallèles avec l’écriture comme méthode, et cela, de générations en générations, comme le soulignent Aron et Badir. On y retrouve l’un des essais fondateurs de Nougé, René Magritte ou les Images défendues (1933-1943), les deux camarades des débuts de Correspondance, Camille Goemans et Marcel Lecomte, le sémillant poète allégorique Paul Colinet, le jeune Jacques Wergifosse au sortir de la Seconde Guerre, et évidemment le couple Louis Scutenaire et Irène Hamoir, sans qui, grâce à leur collection d’œuvres du peintre léguée aux Musées royaux des Beaux-Arts, il n’existerait pas à Bruxelles de Musée Magritte. Et, amusant détournement, une interview imaginaire par Marcel Broodthaers, publiée quelques mois avant la mort du peintre. Magritte tel qu’en lui-même, et tel qu’il reste.
Alain Delaunois
[1] Outre l’anthologie Les mots et les images, choix de textes de Magritte par Éric Clémens, publié en 2017 chez Espace Nord, on peut rappeler la réédition cette année chez Flammarion des Écrits complets de René Magritte, initialement rassemblés, annotés et publiés chez le même éditeur par André Blavier en 1979.