Mon éditeur et moi : Armel Job

armel job

Armel Job

« L’éditeur est la personne qui va défendre votre livre »

Dis-moi qui t’édite, je te dirai quel écrivain tu es. La formule vaut ce qu’elle vaut. Mais  il n’en reste pas moins qu’un auteur a toujours intérêt à frapper à la bonne porte. Derrière se trouve le lecteur qui va comprendre et apprécier sa démarche. Et la défendre. Avec lequel se tisseront peut-être des liens d’amitié. Oui, mais ce lecteur-éditeur n’est pas nécessairement éternel, tout se complique alors, et le manège tourne à nouveau. Comment nos écrivains gèrent-ils l’aventure éditoriale ?  

Depuis une dizaine d’années, Armel Job montre une grande fidélité à la maison parisienne de Robert Laffont, décédé en mai de cette année à 93 ans. Les écrivains belges présents dans cette prestigieuse enseigne ne sont pas légion, si on excepte Francis Dannemark avec huit titres depuis les années ‘80, ainsi que Xavier Deutsch qui vient d’y faire son entrée avec Une belle histoire d’amour qui finit bien. Il aura fallu à Armel Job une belle dose d’opiniâtreté pour y accéder, mais sa ténacité a été payante. Il nous a reçus sur les hauteurs de Bastogne, à Fauvillers, pour évoquer sa vie avec son éditeur.

Trois fois sur le métier

Dans la vie d’Armel Job, l’enseignant a passé le relais à l’écrivain : « J’ai commencé à écrire en vue de publication relativement tard puisque je ne suis publié que depuis une quinzaine d’années. Jusqu’alors, la plume me démangeait, mais je n’avais jamais pensé qu’un jour je pourrais être édité. Il y a eu un changement important dans ma vie professionnelle, lorsque je suis devenu directeur de l’établissement où j’enseignais le latin et le grec. Comme professeur, j’avais l’impression  d’être productif dans la sphère des idées, de la création, de l’écrit. Comme directeur, quelque chose me manquait et, dès lors, j’ai pensé pouvoir tenter ma chance chez un éditeur. Je ne me suis pas mis à écrire tout à coup à 40 ans, j’avais déjà une passion pour l’écriture, mais quand j’ai entamé La reine des Spagnes, c’était avec le projet de le présenter à un éditeur, même si j’étais presque certain que cela ne marcherait pas face au nombre de candidats. J’ai envoyé ce manuscrit à trois éditeurs : Robert Laffont, L’Harmattan et L’Âge d’Homme, en Suisse. Ils m’ont répondu tous les trois. De façon circonstanciée. »

job la reine des spagnes

Un monstre de l’édition française, une maison parfois décriée, un éditeur suisse, pas de Belge, on peut se demander ce qui a présidé à ses premiers choix, pour le moins inhabituels. « Les choses se sont faites par hasard. Il y a des gens qui cherchent un éditeur de manière très systématique, en s’inspirant de guides qui reprennent des listes d’éditeurs, leurs coordonnées, le créneau auxquels ils s’intéressent. Pour ma part, c’était trois maisons dont je connaissais un peu le travail : un éditeur suisse ouvert à la littérature belge, L’Harmattan qui publiait le plus grand nombre de titres en France et Robert Laffont parce que, quelques années auparavant, j’avais lu une très longue interview de lui dans Le Nouvel Observateur. Il disait éviter tout parisianisme, ce micro monde où l’on se fait des petits cadeaux. Il semblait ouvert à des auteurs qui ne pouvaient prétendre à une notoriété. Je pensais que je n’avais aucune chance chez Gallimard ou Le Seuil ou une autre grande maison. Je ne connaissais  personne dans le milieu littéraire, je n’avais pas d’amis écrivains, j’ai démarché comme un simple amateur qui photocopie son manuscrit en trois, quatre exemplaires. Et j’ai eu la chance d’avoir eu de suite affaire à des personnes qui avaient vraiment lu ce que je leur avais envoyé. Elles évoquaient certaines scènes, les personnages, etc. Dans les trois réponses reçues, celle qui me séduisait le plus était celle des éditions Laffont où j’avais le plus envie d’être publié. Je me disais que s’ils me prenaient, je décrochais la timbale. » Mais des trois éditeurs sollicités, seul L’Harmattan propose concrètement de publier le manuscrit : « Denis Pryen, directeur de L’Harmattan, était séduit par les références au monde rural wallon, il y trouvait une touche originale. Pour lui, mon travail évoquait son enfance. » L’aventure éditoriale commence donc et, avec elle, la signature du contrat.

Une autre facette de la vie d’un écrivain. Armel Job découvre ainsi que L’Harmattan n’accorde des droits d’auteur qu’à partir du mille et unième exemplaire. « Cela leur a parfois été reproché, mais cette maison d’édition fait un travail tout à fait correct, honnête, et m’a permis d’entrer sur le marché de l’édition, de faire mes premiers pas à Paris, ce qui m’a encouragé et aidé, notamment pour trouver un autre éditeur par la suite. » Le plus important pour lui était que cette maison ne publie pas à compte d’auteur : « Il me semble que le fait d’être accepté par un éditeur qui prend un risque financier pour vous est un critère de qualité de ce que l’on écrit. Je ne voulais pas non plus avouer à mes amis que j’avais payé pour être édité. Quand on publie à compte d’auteur, l’éditeur est une sorte d’imprimeur. Cela dit, il y a des gens qui ont été publiés à compte d’auteur et qui ont écrit des choses admirables. »

Un refus plein de promesses

Entre-temps, Armel Job a noué un contact privilégié avec les éditions Laffont, pas  Robert Laffont lui-même qui était déjà retiré des affaires et qu’il ne croisera qu’une seule fois, mais avec quelqu’un qui a été son bras droit pendant des années : Jacques Peuchmaurd, historien de formation, lui-même écrivain, véritable baroudeur des lettres. Une longue lettre du genre de celles que l’on range précieusement dans ses archives et qu’Armel Job ressort pour nous :

J’ai lu avec un grand intérêt le manuscrit des Sept Croix (le titre original de La reine des Spagnes), j’en ai apprécié l’écriture sobre et juste, claire et sensible, je me suis attaché au petit monde que vous mettez en scène et cependant je ne puis vous proposer l’édition de ce texte. Pourquoi ? D’abord, et pourtant c’est votre propos, je ne vois pas à quelques expressions près ce que la société que vous montrez a de proprement wallon, il se trouve que je suis d’origine limousine et que je connais bien les villages et les paysans de mon pays, ils sont en tous points semblables sauf par l’accent ardennais. Ainsi, je ne vois pas en quoi votre récit illustre cette culture wallonne que vous avez la juste ambition de défendre. Et ainsi lecteur curieux de découvertes, j’attendais de ces pages quelque chose de singulier, d’unique, et je ne l’ai pas rencontré. D’autre part, il est très difficile d’attacher le lecteur avec un récit si dépourvu d’actions romanesques. Plutôt que cette suite de tableaux et de petites scènes, que ne faites-vous un roman ? Vous avez là toute la matière nécessaire : une terre, un ciel, des personnages. Reste à faire de ces derniers les acteurs d’une vraie histoire, ce que l’on appelle précisément un roman où l’évolution d’une situation, dramatique ou non, permet de révéler tout ce que ces personnages portent en eux, dans tel temps, telle circonstance, tel climat. Chez Robert Laffont, je suis l’éditeur d’un groupe d’écrivains qui forment ce que l’on appelle l’école de Brive. Ils connaissent un très grand succès parce que ce sont des raconteurs d’histoires et ce sont des histoires du vieux fonds rural de la France en voie de disparition assurément, mais toujours présent dans la conscience des lecteurs. Selon moi, vous avez les moyens littéraires. En avez-vous l’envie, le goût ? Ce que je pense, c’est qu’ainsi vous feriez découvrir et aimer plus sûrement votre Ardenne et ses gens. Voilà ce que je me permets de vous suggérer. Vous jugerez par là que votre texte actuel ne m’a pas laissé indifférent.

job la femme manquéeTrès encouragé par cette lettre de Jacques Peuchmaurd, Armel Job  lui envoie La malédiction de l’abbé Choiron. Il est invité à se déplacer à Paris, ils discutent longuement et sympathisent. « Lui était prêt à m’éditer mais cela ne s’est pas fait. Parce que, chez les éditeurs, il y a évidemment le secteur littéraire qui recherche de bons textes, mais aussi le secteur commercial qui se demande si les textes seront retables. Il y a eu un couac de ce côté. J’ai ensuite écrit La femme manquée, un peu la mort dans l’âme, puisque j’avais raté deux fois l’entrée chez ce grand éditeur. Je l’ai adressé directement à Jacques Peuchmaurd. Avec une petite péripétie amusante : au bout de deux mois, Jacques Peuchmaurd m’a téléphoné pour me dire qu’il avait égaré le manuscrit. J’ai tout de suite pensé que c’était une excuse. Mais il l’avait effectivement perdu lors d’un déménagement des éditions Robert Laffont. »  La femme manquée repart pour Paris. Trois semaines plus tard, la réponse, positive, tombe. Mais alors que Jacques Peuchmaurd s’occupait plus spécifiquement des écrivains de l’école de Brive, parmi lesquels Claude Michelet, Michel Peyramaure, Christian Signol, Denis Tillinac, pour citer les plus connus, il ne  fera pas entrer Armel Job dans le groupe et le considérera toujours un peu comme un écrivain à part. « Je lui suis très reconnaissant d’avoir rapidement compris que mon travail était différent. La définition du romancier de Giono me convient mieux : un raconteur d’histoires. Certains de mes romans ont un ancrage rural, des personnages simples, mais aussi une manière de raconter inspirée de la tragédie grecque, cette évocation de ce qui peut faire la grandeur de l’existence. Mes romans se passent à la campagne, mais Madame Bovary se passe aussi à la campagne. Flaubert n’aurait jamais fait partie de l’école de Brive. Et soyons clair, je n’ai pas la prétention d’être le Flaubert des Ardennes! »

L’objectif et le… subjectif

« La relation avec un éditeur est quelque chose de très subjectif. Je crois qu’il y a toujours un élément de la vie ou de la personnalité de l’éditeur qui fait qu’il va être réceptif ou non à votre démarche. Mes relations avec Jacques Peuchmaurd ont été d’emblée très amicales car il avait été en son temps l’éditeur de Tempo di Roma d’Alexis Curvers, pour lequel il avait une admiration sans bornes ainsi que pour son épouse Marie Delcourt, célèbre helléniste. «  Devenu leur ami, le Français viendra régulièrement à Liège. De son côté, Armel Job a suivi des études classiques à l’université de la ville mosane. Une complicité s’installe. « Jacques Peuchmaurd était vraiment un père pour ses auteurs. Pendant des années, il m’a téléphoné au moins deux fois par mois, pour savoir si je travaillais, s’informer sur ce que je faisais, sans mettre la pression et sans intervenir. Comme il était lui-même écrivain, il savait très bien que, pendant toute la période de création, vous êtes seul. C’est parfois difficile, on a des moments d’abattements. Mais je savais que Jacques était là. C’était une présence encourageante. »

En 2005, alors qu’il a accepté Les fausses innocences, Jacques Peuchmaurd met fin à ses activités éditoriales et quitte les éditions Laffont. C’est Bernard Barrault, le directeur de Julliard, qui prend le relais (Julliard appartient au même groupe que Laffont, Nil, Seghers). Avec lui, Armel Job publie ensuite Les mystères de Sainte Freya et Tu ne jugeras point. Ils préparent la sortie d’un nouveau roman pour début 2010.

Coup double

job la femme de saint pierreMais, avant d’en arriver là, le parcours littéraire et éditorial d’Armel Job a pris des chemins de traverse. L’année où paraît La femme manquée, premier roman chez Laffont, Armel Job sort un autre roman, De la salade !, chez Memor à Bruxelles. (depuis, Memor a été racheté par les éditions Mijade). « Je n’avais pas proposé ce roman chez Laffont car, suite à mes discussions avec Jacques Peuchmaurd, je savais qu’il ne les intéresserait pas. Je l’ai proposé à l’éditeur John Ellyton, un peu par hasard. J’avais appris qu’il mettait tout en œuvre pour écouler ses livres chez les étudiants du secondaire, en informant les professeurs, en envoyant son catalogue dans les écoles, en pratiquant des réductions de prix pour les classes. John Ellyton m’a téléphoné pour me donner son accord deux ou trois jours après que j’ai reçu celui de Jacques Peuchmaurd pour La femme manquée! » John Ellyton a également réédité Helena Vannek en format de poche, quand ce roman a reçu le prix des Lycéens. Il connaît depuis de nouveaux tirages chez Mijade. « John Ellyton était un éditeur méticuleux, précis et d’une extrême honnêteté, qui payait ses auteurs, ce qui peut paraître élémentaire, mais ce n’est pas le cas de tout le monde si j’en crois d’autres écrivains. » Autre éditeur croisé sur sa route d’écrivain : la maison Labor qui sort en 2004 un recueil de nouvelles, La femme de saint Pierre : « Les éditeurs sont généralement réticents à publier ce genre que j’apprécie pourtant. La nouvelle se vend moins que le roman. Je suis d’autant plus reconnaissant à Labor et Marie-Paule Eskénazi d’avoir publié les miennes. »

Les auteurs ont toujours raison

job les eaux ameresOn se demande parfois quelle est la part prise par un éditeur dans un livre. Une fois le manuscrit remis, est-ce qu’il intervient sur la structure générale, sur l’écriture, sur le titre, etc. ? « Du point de vue du contenu, de l’action, du style, de la forme, je n’ai jamais eu aucune intervention de mes éditeurs. Le roman que vous lisez, c’est le mien. Des remarques me sont faites mais sans amener de changements. Bernard Barrault, qui est un grand professionnel de l’édition, très expérimenté, respecte beaucoup le travail de ses écrivains. Il m’a dit un jour: ‘Pour moi, les écrivains ont toujours raison’. Certains éditeurs améliorent certainement des textes, mais je dois être trop orgueilleux pour l’accepter. Je préfère un éditeur qui refuse un de mes textes, ce qui est déjà arrivé, qu’un éditeur qui amène des changements pour la publication. » La seule concession qu’Armel Job semble accepter concerne plus le contenant que le contenu : la couverture, l’illustration, le résumé de la quatrième de couverture, la présentation de l’auteur, sa photo éventuellement, et le titre bien évidemment. « Pour un éditeur, tous ces éléments ne relèvent pas de la littérature, mais du marketing. Ils doivent attirer le lecteur. Pour un certain nombre de mes romans, ce n’est pas le titre que j’avais présenté qui a été retenu. Les fausses innocences est un titre de Bernard Barrault, j’avais proposé Frontières. Le prochain est titré Les eaux amères, mais je ne garantis pas que ce sera cela. Pour les illustrations, je reçois plusieurs propositions. Pour Tu ne jugeras point, je n’aime pas celle qui a été retenue. On se téléphone, on s’écrit, on s’échange des idées, et puis l’éditeur travaille avec une équipe. Il y a un dialogue. Je leur fais confiance aussi. » Il y a tout l’investissement en amont, il y a aussi tout le suivi en aval. L’occasion bien souvent de se rendre à Paris, de se retrouver dans les bureaux de ‘sa’ maison, pour les séances de signatures.  « Je rencontre les attachées de presse, des personnes dont on ne souligne pas assez le rôle. Pendant trois ou quatre mois, elles suivent au quotidien la vie du livre pour sa promotion. J’ai été très impressionné par ma première attachée de presse, Claudine Lemaire. Elle m’a fait connaître des tas de gens. Si mon premier roman a reçu trois prix, c’est en grande partie à elle que je le dois. Sans les attachées de presse, personne ne parlerait de notre bouquin. »

Comme Francis Dannemark, son compatriote du catalogue Laffont devenu à son tour éditeur, est-ce qu’Armel Job n’a jamais été tenté par le métier? « Je ne pense pas que je pourrais être éditeur ou directeur de collection. J’ai du mal à donner un avis négatif car je sais ce qu’un roman représente en heures d’écriture et en investissement personnel. Il y a quand même beaucoup de cruauté dans le monde de l’édition. Des auteurs souffrent, notamment lorsqu’ils sont rejetés par un éditeur et qu’ils ne savent plus vers qui se tourner. Un auteur ne devrait jamais faire d’un refus une affaire personnelle. Cela ne veut pas nécessairement dire qu’il n’est pas bon, mais que le lecteur qui a pris connaissance de son texte n’était pas séduit et prêt à le défendre. Il y a des centaines de chefs d’œuvre qui ont été refusés et dont on ne connaîtra jamais les auteurs. »

Michel Torrekens


Article paru dans Le Carnet et les Instants n°163 (2010)