Est-ce ainsi que les hommes vivent?…

….et leurs baisers au loin les suivent [1]

Un coup de coeur du Carnet

Armel JOBDe regrettables incidents, Paris, Laffont, 2015, 288 p., 19 €/ePub : 12.99 €

job_romanWerner Sualem, gérant d’une épicerie coopérative, fait partie depuis plus de 25 ans de la troupe de théâtre amateur « Le royal Sillon » à Brul, petit village de l’est de la Belgique. Après avoir joué les comiques, il monte une pièce dramatique d’Haakon  Ibsen, Le cheval de retour, une histoire d’amours irrémédiablement ratées et déçues. Mais le drame ne va pas rester confiné à la scène et c’est le village tout entier qui va se trouver pris dans les turbulences provoquées par d’anciens drames enfouis – de regrettables incidents – qui vont refaire surface.

Avec l’art consommé qu’on lui connaît, Armel Job, maître ès-narration, continue, roman après roman,  d’explorer les ressorts de la nature humaine.

Il met en scène un parfait salaud, du genre que le lecteur a plaisir à détester de tout cœur en souhaitant qu’il crève dans d’atroces souffrances ;  un vrai gentil – pas parfait pour autant – ; des lâches et des veules, sans cœur et sans cervelle, et toute la gamme des gens de bonne volonté pris entre bienveillance et impuissance, entre gentillesse et incompréhension, entre doutes et remords…

Comme toujours, le style d’Armel Job est riche et précis, très soigné sans être sec, dispensant tour à tour humour et  émotions et l’intrigue est menée avec brio jusqu’au rebondissement final. Par bonheur, la virtuosité et la maîtrise de l’auteur restent au service de la narration et le lecteur a le cœur serré de découvrir les vies tristes et saccagées des personnages auxquels il s’attache, en oubliant qu’ils  ne sont que de papier.

Dans ce roman, le théâtre est quasi un « personnage » à part entière : en premier lieu, il sert de décor au roman à travers les heur-t-s et malheurs de la troupe du Royal Sillon, mais aussi de révélateur et de catalyseur des émotions et des personnalités, pas seulement pour les acteurs de la troupe confrontés aux dilemmes du vrai et du faux, mais aussi, par exemple, pour Jakob et Irène ramenés au temps et aux émois de leur jeunesse au Kazakhstan.  Outre son effet cathartique sur les acteurs-personnages, la pièce jouée dans le roman donne lieu  à un brillant trompe-l’œil puisque le lecteur, sollicité dans son intelligence et sa perspicacité, sera amené à s’interroger sur l’auteur véritable de cette œuvre improbable attribuée par le romancier à un in-certain Haakon Ibsen. Enfin, la métaphore théâtrale sert d’écrin à la narration : entre « La vie est un théâtre » et « La pièce est finie », le drame s’est noué et a transporté le lecteur au cœur des passions humaines.

Marguerite Roman


[1] Merci à Louis Aragon pour le titre de cette chronique

 

♦ Ecoutez Armel Job au micro d’Edmond Morrel sur espace-livres.be :