Du danger de se faire traiter de « mandarin »

Jacques DE DECKER, Le ventre de la baleine, Weyrich, coll. « Plumes du coq », 2015, 192 p.

 

dedeckerLa collection Plumes du Coq, aux éditions Weyrich, propose au lecteur des ouvrages, inédits ou en réédition, d’écrivains belges francophones, principalement wallons.  Forte de plus d’une vingtaine de titres à l’heure actuelle, elle présente des titres d’Armel Job, Alain Bertrand, Christian Libens, André-Marcel Adamek et André-Joseph Dubois, entre autres.  Tous ces romans sont rattachés à la Wallonie, que ce soit par l’auteur, le terrain du récit, le langage, l’histoire ou les personnages.  À cet égard, le  roman de Jacques De Decker Le ventre de la baleine, paru initialement en 1996 aux éditions Labor, trouve assurément sa place dans cette collection. Les lecteurs belges se souviennent sûrement de ce  roman « à clés », inspiré par l’affaire André Cools, du nom du Ministre d’État et ancien président du Parti socialiste, assassiné en juillet 1991, le procès des assassins ayant eu lieu en 1998. Le premier procès du moins car, du côté judiciaire de l’affaire,  un scénariste pourrait trouver la matière d’un feuilleton.

Le récit fait donc vivre au lecteur les dernières tribulations d’Arille Cousin, avatar d’André Cools, entre sa maîtresse, sa femme et les remous internes au parti politique dont il a été le patron et reste le grand manitou ainsi que les réactions et interactions médiatico-judiciaires engendrées par son assassinat. Tout ça parce qu’il a traité certain ministre parvenu de « mandarin », ce dont l’entourage dudit « mandarin » s’est ému jusqu’à s’en inquiéter.

Le livre est certes intelligent, à l’instar de son auteur qui possède une vision à la fois vaste et approfondie du monde littéraire.  L’auteur met en place le dispositif des personnages indispensables à l’intrigue politico-judiciaire, laquelle requiert, pour bien fonctionner, des politiques mais aussi des juges, des magistrats et des journalistes.  Et, justement, Thomas, le jeune juriste attaché à une magistrate siégeant au Palais de Justice de Bruxelles, se trouve connaître un jeune journaliste officiant dans un des grands quotidiens de la capitale. Malheureusement, ces personnages restent plutôt superficiels : le couple formé par Thomas et Marthe est original mais ça ne va pas beaucoup plus loin, l’intrigue amoureuse entre le jeune journaliste et sa collègue Bernadette s’avère artificielle. Par contre, le portrait de la femme d’Arille, Louise, est très réussi, ainsi que la description de leur relation qui perdure malgré les années et les vents contraires.

Les pages les plus touchantes se trouvent dans le testament politique d’Arille Cousin, quand il confronte l’idéal politique de sa jeunesse et ce qu’il est devenu au fil des années, au fil de la confrontation avec les aléas du réel et les inévitables concessions qui finissent en compromission.  Charge au lecteur de se demander d’une part, comment cette profession de foi d’un leader de la gauche ouvrière est née sous la plume d’un auteur d’une toute autre chapelle et d’autre part, comment la fiction parue en 1996 a anticipé le jugement de 1998. On n’admirera jamais assez la force de la littérature pour dire les choses.

Le lecteur trouvera, en complément de cette réédition, un entretien de Jean Jauniaux avec l’auteur, qui fournit d’intéressantes considérations et clés de compréhension sur la composition du livre.

Marguerite Roman

Jacques De Decker parle du Ventre de la baleine sur espace-livres.be

 

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