Paul l’immense

Paul-F. SMETS, Paul Hymans. Un authentique homme d’état, avant-dire de Pierre Mertens, postface de Pierre Goldschmidt, Racine, 486 p.

Paul Hymans voit le jour en 1865, année de l’accession de Léopold II au trône, et s’éteint en 1941, alors que la Belgique est depuis un an sous le joug nazi. C’est dire si une telle existence embrasse un pan entier de l’histoire de notre pays, et en partage pendant plusieurs décennies les joies, les deuils, les avancées, les tourments, les espoirs.

Le volumineux ouvrage que lui consacre le Professeur émérite de l’ULB Paul-F. Smets confirme l’imposante stature politique d’un homme au physique frêle, mais qui sut toujours tenir tête à ses adversaires rien que par les vertus de son éloquence. Hymans était en effet de ceux pour qui la parole était déjà une forme d’action, et la maîtrise du discours un socle indispensable à l’exercice de toute saine démocratie.

Les admirateurs comme les détracteurs des idées incarnées par le personnage liront donc avec un égal intérêt cette somme de près de cinq cents pages. Les premiers y verront la confirmation de l’envergure de Hymans et apprécieront sa pugnacité à soutenir l’annexion du Congo, exalter l’unitarisme, défendre l’enseignement obligatoire, refuser l’ingérence de l’église dans les affaires publiques, ou encore plaider pour l’établissement d’un service militaire personnel et obligatoire afin d’aboutir à une « armée de citoyens » ; les seconds disposeront, à travers de multiples extraits de discours et d’articles, d’un véritable compendium des thèses du « libéralisme social », un corpus doctrinal dont le maître mot fut « solidarité » et qu’il demeure malaisé de situer précisément sur l’échiquier idéologique actuel. Pour simplifier, disons que, s’il y a chez Hymans des engagements que l’on peut sans équivoque classer à gauche, nombre de ses postures et de ses positionnements seraient plutôt de droite…

Pierre Mertens déclare, en avant-dire, ne guère être friand des biographies : « Souvent, sous un amoncellement d’anecdotes, elles dissimulent plus qu’elles ne révèlent le secret d’une destinée, sa clé, ce qu’il faut bien appeler et le mot a sa grandeur : son mystère. » Le but de Smets aura été avant tout de ressusciter le brillant rhéteur au Barreau, le polémiste redouté, l’habile négociateur, le franc-maçon fidèle, le décideur enfin, en s’appuyant moins sur des témoignages rapportés par ses contemporains que sur des documents écrits. La masse documentaire consultée est impressionnante et même si elle est retraitée de façon discursive, selon une chronologique parfois non linéaire, elle se laisse assez clairement appréhender. L’archiviste prend le parti de s’effacer au profit de son sujet, malgré l’admiration difficilement dissimulable qu’il lui porte, et ce afin que seule le juge l’Histoire – encore un mot qui s’orthographie avec un H majuscule, comme le nom de Hymans…